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comme l’auteur d’une main légère ôte peu à peu ce masque et dévoile avec art la nature qui se cache ! Combien son poétique persiflage l’a heureusement servi dans la comédie de l’amour !

Le cadre de cette étude, à notre grand regret, ne nous permet pas de nous arrêter sur un écrivain qui seul porta au théâtre quelques-unes des émotions, sinon des pensées de 1848. George Sand a essayé sur la scène d’une réaction volontaire contre les mœurs, le goût, le régime précédens. S’il n’a pas puisé ses types dans la classe ouvrière, alors prédominante, presque maîtresse, il a du moins installé la démocratie dans l’ordre des conceptions théâtrales par ses paysans berrichons. Son brave et généreux champi, ce bâtard de prédilection, prenant la place qui lui appartient dans le petit monde du village, sans déclamation sur sa naissance, sans rhétorique prétentieuse sur la société, mais à force de vertu et d’intelligence, c’est là une création, peut-être la seule qui soit arrivée à ce moment avec conscience de ce qu’elle voulait et du temps où elle venait au jour. Entre les crudités violentes de Balzac et le léger scepticisme d’Alfred de Musset, il y eut place pour cette idylle où se complut ce qu’il y avait de vertueuse chimère dans les deux ou trois fugitives années de la jeune république. Le temps prononcera un arrêt définitif ; mais le théâtre de George Sand semble rester une exception tantôt gracieuse, tantôt brillante, toujours personnelle, et par conséquent ne pouvant ni communiquer la vie à d’autres ni faire école. Après tout, si 1848 n’a pu fonder sa forme politique définitive, comment s’étonner qu’il n’ait pu créer sa littérature et son théâtre ? Sur le seuil du temps présent, nous devons donc nous borner à deux noms qui résument et présentent à eux seuls le double aspect de. la comédie contemporaine. Ils se sont emparés en même temps du théâtre : l’un était le correctif de l’autre, et aujourd’hui même l’un ne peut pas être remis sur la scène sans que l’autre n’arrive aussitôt sur ses pas.


II

Si la comédie, suivant le cours naturel des choses, n’avait obéi qu’au mouvement spontané qui l’emportait vers des pentes nouvelles depuis 1848, il paraît certain qu’elle eût continué de se développer dans les deux directions que nous venons d’indiquer. D’une part, elle eût traduit sur la scène les ridicules de toute sorte, ceux que l’on reconnaît dans une société établie et fixée, ayant le loisir et l’envie de s’étudier elle-même, de se complaire dans ses portraits ou de rire de ses imperfections. Aucune cause, extérieure du moins, ne serait intervenue dans ses goûts et ses préférences, ne