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sonne creux, rien n’est faux, rien n’est irritant comme les gaîtés de la veille, et, quand même le public eût eu envie de rire, il faut aux ridicules dont vit la comédie un peu de calme qui permette de les apercevoir, une certaine assiette où ils puissent s’étaler. Sous la tempête, chacun songe à soi, et l’on pense fort peu à la grimace du voisin, encore moins à celle que l’on fait soi-même. Il n’y a point alors de place pour la comédie, dont le but est, suivant le mot du poète anglais, « de nous faire voir à nous-mêmes comme les autres nous voient. »

Cependant il faut vivre, et le théâtre est une Shéhérazade condamnée à trouver tous les soirs des récits que parfois on n’écoute même pas : à ce moment, elle avait affaire à un auditeur fort distrait, à un sultan de mauvaise humeur qui se bouchait les oreilles et la laissait narrer dans le désert. C’est en vain que Scribe essaya de quelques avances à l’esprit du temps et mit sa marchandise sous un pavillon moins désagréable aux démocrates. Ce n’était plus le temps de la comédie patriotique, bonne tout au plus pour l’époque de la restauration, comédie rétrospective, dénuée désormais du goût de la réalité et du sel de l’allusion. Pour un temps nouveau, il fallait des conceptions nouvelles, et Scribe changea de collaborateurs sans changer de manière. Quant à la comédie aristophanesque, il n’y fallait pas songer ; il n’y eut, il ne pouvait y avoir en ce genre que des croquis populaires qui n’avaient rien à démêler avec l’art. Le théâtre vécut ou du moins évita de mourir, grâce à des œuvres négligées que lui léguait le régime précédent : la comédie de 1848 se composa, ou peu s’en faut, des deux noms de Balzac et d’Alfred de Musset.

Balzac, un favori du théâtre républicain ! un nom adopté par le public de 1848 ! Cette singulière rencontre, on serait tenté de l’expliquer simplement par les échecs administratifs de l’écrivain, à qui les événemens fournissaient une revanche. Rien dans ses écrits qui pût flatter l’opinion régnante. Il ne cache guère son admiration pour le pouvoir absolu ; son idéal de gouvernement semble bien être cette « magnifique police asiatique créée par Bonaparte » dont il parle dans Vautrin. Est-il bonapartiste ? On le croirait par momens, si dans d’autres il ne s’attendrissait sur la légitimité. Ses épigrammes un peu lourdes n’épargnent aucun régime, aucune doctrine, même le socialisme. En réalité il est sceptique, et cette indifférence, qu’il n’avoue pas du reste, et qui va jusqu’à l’absence du sens moral, donnerait à elle seule le mot de son succès dans un temps qui vit trop de changemens pour ne pas faire baisser le prix des professions de foi. La comédie n’a pas, ne doit pas avoir d’opinion politique ; le scepticisme de Balzac pouvait donc être le