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paix qu’il leur a aussi promise. et que le peuple attend de lui avec confiance, sans craindre pour la liberté.

Ainsi se terminera cette révolution glorieuse où l’on a cru que les États-Unis allaient périr. Ainsi le parti de l’union va consolider les résultats de sa victoire, et renouer d’une façon plus durable le lien national un instant brisé. Il y a huit ans que le peuple américain y travaille, et depuis huit ans il persévère, à travers tous les sacrifices, dans la voie qu’il s’est tracée et qu’il parcourra jusqu’au bout. Depuis huit ans, cette courageuse nation, éprouvée par toutes les misères d’une guerre civile épouvantable et par toutes les difficultés d’une transformation plus pénible encore que la guerre, n’a montré aucune hésitation dans ses desseins, aucune lassitude dans sa volonté, aucune défaillance dans sa foi. La révolution qu’elle a accomplie est la seule dont on puisse dire qu’elle n’a jamais renié ses propres maximes, et qu’elle ne s’est pas perdue par ses excès. Les plaintes, les désordres, les flux et les reflux des agitations populaires en ont souvent troublé la surface, mais sans jamais en arrêter le cours. Les accidens n’y ont eu aucune part. On eût dit un de ces courans sous-marins que ne retardent même pas les tempêtes. Cette démocratie licencieuse et tumultueuse a montré une persévérance, une régularité dans l’effort, une énergie morale inébranlable dont aucun obstacle n’a triomphé.

Si du spectacle de cette anarchie nous reportons nos regards sur les sociétés irréprochables où l’ordre règne, où le pouvoir gouverne beaucoup et suivant des règles savantes qui soumettent toute la vie nationale à une discipline méthodique et rigoureuse. quelles sont les merveilles que nous y voyons ? Tout change, tout flotte, tout se retourne au moindre vent, les révolutions se succèdent comme des décorations de théâtre, les partis passent comme des ombres, les circonstances.décident de tout, le hasard seul est souverain. C’est un accident qui renverse un trône, c’est un accident qui en élève un autre ; c’est par accident qu’une république est proclamée, c’est par accident qu’elle succombe ; c’est par accident que les dynasties vont et viennent, que les lois se font et se défont, que les guerres éclatent et s’apaisent. Cet accident peut s’appeler, il est vrai, le caprice d’un homme ; mais l’opinion publique y est étrangère, ou plutôt l’opinion n’existe pas. Quand l’opinion publique est sérieuse et forte, quand les nations savent ce qu’elles pensent et ce qu’elles veulent, elles sont sans doute peu flexibles aux fantaisies de ceux qui règnent sur elles ; elles ont du moins cette ferme prévoyance et cette persévérance virile qui donnent aux gouvernemens la sécurité de l’avenir.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.