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gouverneur Seymour était un tacticien plein d’expérience, un homme politique blanchi sous le harnais, et personne assurément n’était plus capable que lui de tirer parti de la situation difficile où les démocrates se trouvaient engagés ; mais son nom était profondément impopulaire. On se souvenait du rôle presque factieux qu’il avait joué pendant la guerre, à une époque où le danger de la patrie devait primer toutes les opinions. Il avait été dans ce temps-là un des chefs les plus marquans de ce parti des copperheads ou des démocrates de la paix, qui avait laissé de si amers ressentimens dans le cœur de tous les bons patriotes. Il avait paru en 1864 dans la convention démocratique de Chicago comme le candidat favori des sécessionistes, et c’était par une concession aux sentimens du pays qu’on avait préféré à sa candidature celle du général Mac-Clellan. Il devait avoir contre lui tous les défenseurs de la cause nationale, tous ceux qui pendant cinq ans l’avaient servie de leur parole, de leur fortune ou de leur épée. — Quant au général Blair, qu’on avait choisi pour plaire à l’armée, c’était un soldat de cabinet plus hardi dans les intrigues que dans les dangers du champ de bataille, plus accoutumé à respirer l’air de la Maison-Blanche que la fumée du canon. L’armée le connaissait à peine, et ceux qui le connaissaient se défiaient de lui. La variation fréquente de ses opinions politiques, l’espèce d’influence de cour qu’il avait exercée successivement auprès de tous les présidens des États-Unis, les relations intimes qu’il avait su conserver avec les hommes du sud en servant néanmoins la politique radicale, tout le rendait également suspect aux républicains et aux démocrates. Aussi violent dans ses discours qu’inconséquent dans sa conduite, son premier soin, en acceptant la candidature, fut d’écrire contre le général Grant une lettre insultante et grossière où il l’accusait d’être un assassin. La lettre de M. Seymour fut au contraire prudente, digne et modérée. Tous deux affichaient une grande confiance dans le résultat de l’élection prochaine ; mais leur candidature était de celles qui accusent la faiblesse irrémédiable du parti qui les adopte.

La rédaction du programme ne fut pas plus heureuse que le choix des candidats : elle était peut-être, il faut le dire, encore plus difficile. On devait à la fois satisfaire les démocrates purs et ne pas effrayer les républicains modérés, dont l’alliance était aujourd’hui si précieuse aux conservateurs. Il fallait contenter à la fois les capitalistes et la multitude, les répudiateurs et les créanciers de l’état, les hommes du sud et les hommes du nord, les anciens rebelles et les anciens soldats fédéraux. De tous les côtés, les démocrates se trouvaient en présence défaits accomplis qu’ils ne pouvaient ni approuver, sous peine de se dédire, ni contester, sous peine de perdre la plupart de leurs partisans nouveaux. La