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IV

Le 20 mai, le jour même où se répandait la nouvelle de l’acquittement du président Johnson, la grande conventionnés républicains se réunit à Chicago. Elle comprenait près de 700 membres. Tous les états du sud s’y étaient fait représenter, même ceux qui, n’étant pas encore entièrement reconstruits, ne pouvaient légalement prendre part à l’élection prochaine ; on n’avait pas eu le courage de fermer la porte à leurs délégués. On remarquait dans la foule un groupe de figures noires magnifiquement harnachées pour cette occasion solennelle et caparaçonnées des pieds à la tête avec une élégance tout africaine : c’étaient les délégués de la Géorgie et de la Caroline du sud. Il était évident que les radicaux n’étaient pas en grand nombre, et que les modérés resteraient les maîtres du terrain. Dès le début, le général Schurz, président temporaire de la convention, exposa dans son discours d’ouverture le programme qu’on allait voter, et le résuma avec beaucoup de bonheur en deux mots énergiques : « justice à l’esclave émancipé, justice au créancier de l’état. » Ces paroles furent couvertes. d’acclamations par l’assemblée, et il fut dès lors évident que telles seraient les deux « planches » principales qui devaient composer la plate-forme sur laquelle on allait élever le général Grant.

Les résolutions étaient préparées d’avance, et elles furent votées séance tenante. Jamais le parti républicain n’avait tenu un langage aussi prudent et aussi modéré depuis le temps du président Lincoln. Sauf un passage injurieux contre M. Johnson et sa politique, tout le manifeste était rédigé avec une circonspection et une réserve auxquelles on n’était plus accoutumé depuis longtemps. Les auteurs ne s’étaient pas piqués d’une logique rigoureuse, ils avaient même sur plus d’un point mérité le reproche d’inconséquence, et blessé sans beaucoup de scrupule la doctrine constante de leur parti. Ils s’étaient appliqués visiblement à adoucir la politique radicale et à ne pas effaroucher le sentiment populaire en étalant des principes trop absolus. On remarquait entre toutes les autres la résolution où ils touchaient la question du suffrage des noirs. Au lieu de se prononcer dans le sens des idées radicales et de proclamer avec éclat l’égalité des droits entre tous les hommes, ils distinguaient soigneusement entre les états du sud, où l’égalité du suffrage « était imposée par toutes les considérations possibles de sûreté, de reconnaissance et d’équité, » et les états loyaux du nord, où la question du suffrage « appartenait au peuple lui-même. » Assurément cette distinction n’était pas d’une justice irréprochable ; mais elle était d’accord avec le sentiment du pays et avec l’opinion