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l’horizon avaient répandu la glorieuse nouvelle jusqu’au fond des districts les plus reculés, et partout avaient éclaté les transports de la joie lai plus vive. Dans plusieurs villes, on avait tiré le canon, on avait fêté la délivrance du président comme une victoire des armes nationales. Fallait-il en conclure que le peuple américain eût été disposé dans le cas contraire à s’insurger pour le président contre le congrès ? Assurément l’opinion du pays était loin d’être favorable à la déposition du président, elle la regardait comme tardive, inutile, et d’un dangereux exemple pour l’avenir ; mais avant tout le peuple des États-Unis voulait s’en remettre sur cette affaire à la régulière opération des lois. La condamnation de M. Johnson n’aurait nullement soulevé la guerre civile. et peut-être aurait-elle été accueillie dans le parti radical avec des manifestations de joie au moins égales à celles dont s’enivrait la vanité du président.

Les démocrates se trompaient donc en entonnant déjà le chant de victoire ; rien n’annonçait qu’ils dussent réussir dans la prochaine élection présidentielle. Au contraire l’acquittement de M. Johnson était un gage à peu près certain du succès des républicains modérés et du choix de la candidature populaire du général Grant par la convention électorale qui allait se réunir à Chicago. Ce n’était pas tant une victoire des démocrates sur les républicains qu’une confirmation éclatante de l’ascendant que les républicains modérés prenaient sur les républicains radicaux. Ce qui était ruiné sans retour, c’était le plan de campagne exclusif du parti radical extrême, cette périlleuse et téméraire aventure qui, en divisant les forces des républicains, risquait de servir indirectement leurs adversaires et de leur ouvrir le chemin du pouvoir. Si les partis n’eussent été aveuglés par la passion de l’heure présente et par la chaleur de la lutte, ce seraient les démocrates qui auraient dû s’alarmer des résultats du procès et les républicains qui auraient eu lieu de s’en réjouir.


III

L’agitation causée par cette affaire ne tarda point à tomber. Malgré les vives émotions qu’il avait données à tous les partis, le procès du président n’était qu’un épisode fait pour être promptement oublié. Le peuple américain a trop l’expérience des affaires publiques pour se laisser troubler par des événemens de ce genre et pour être ébranlé dans ses desseins par des considérations sentimentales. Laissant d’une part le président Johnson profiter de ses derniers instans de pouvoir pour remanier son cabinet de fond en comble et se faire un ministère à sa guise, d’autre part le vieux et implacable Thaddeus Stevens, déjà plus qu’à moitié mort, s’obstiner à préparer de nouveaux articles d’impeachment, le pays se mit à