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article, à la fois le plus grave et celui dont le succès paraissait le mieux assuré, accusait le président de s’être mis en révolte ouverte contre les lois du congrès. Par un accord unanime, et pour savoir plus vite à quoi s’en tenir sur le résultat du procès, on était convenu de voter d’abord sur l’article qui devait décider de tous les autres. À l’appel rapide du président de la cour, les « oui » se succédaient à coups pressés sur les bancs républicains, interrompus çà et là d’un « non » parti des bancs démocrates. Enfin le greffier en proclama le nombre : 35 voix déclaraient l’accusé coupable, 19 le déclaraient innocent. Sur ces 19 voix, il y avait 12 démocrates et 7 républicains modérés. Il s’en fallait d’une seule voix que le président ne fût condamné. L’impeachment avait échoué sans retour, et c’était le vote du sénateur Ross qui avait incliné la balance.

La fureur des radicaux peut plus aisément se deviner que se décrire. Les délégués de la chambre des représentans injurièrent grossièrement les défectionnaires. M. Sumner versa des larmes de douleur. Une discussion plus qu’acrimonieuse s’engagea entre les deux bouts de l’assemblée, et l’on put se croire un instant revenu aux plus mauvais jours de la sécession. Les managers, exaspérés, se mirent à remuer ciel et terre pour découvrir des preuves de la corruption de ceux qu’ils appelaient les traîtres. Ils firent subir un véritable interrogatoire au sénateur Henderson, qui protesta vainement contre cette violence. MM. Butler et Stevens se remirent à forger à la hâte de nouveaux articles d’accusation qui eurent un sort aussi malheureux que les premiers. Rien ne put ébranler la minorité triomphante ; la majorité se sentit impuissante devant l’obstacle légal qu’on lui opposait. Les radicaux, renonçant aux grandes espérances qu’ils avaient caressées, surent au moins honorer leur défaite par l’exemple d’un noble respect pour les lois de leur pays.

La joie du président ne connut pas de bornes. Il se crut vengé en un jour de toutes les humiliations que le congrès lui avait infligées depuis deux ans. Non-seulement il échappait comme par miracle à la déchéance, mais tout s’arrangeait maintenant au gré de ses désirs. En même temps qu’il était absous par le congrès, le général Thomas était acquitté, lui aussi, par la cour suprême du district de Colombie. M. Stanton donnait spontanément sa démission, et le sénat ratifiait sans résistance la nomination du général Schofield. Le président se crut le roc invincible où devait venir se briser la puissance du parti radical. Un retour d’opinion se manifestait de tous côtés en sa faveur, et peut-être voyait-il poindre l’espoir d’une candidature nouvelle. Pendant toute la semaine qui suivit l’acquittement, la Maison-Blanche fut encombrée de conservateurs fidèles accourus de tous les états voisins pour adresser leurs félicitations au juste persécuté. Des dépêches expédiées à tous les coins de