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candidature inévitable se fixer dans l’esprit du peuple » et s’imposer malgré eux au choix de leur parti. Tout le monde savait avec combien d’inquiétude ils assistaient au progrès constant des opinions conservatrices, et regardaient venir l’époque fatale où ils seraient forcés de renoncer au pouvoir, ou de servir eux-mêmes au second rang sous la conduite des modérés. Depuis quelque temps, ils n’avaient pas d’autre pensée que d’écraser le modérantisme dans son germe, soit par un coup d’éclat qui mît fin à tout ménagement, soit par une surprise qui rejetât ces faux frères dans les rangs de leurs ennemis. Ils se disaient que, s’ils s’emparaient du pouvoir, les modérés reviendraient à eux et leur rendraient la direction du parti, qu’il suffisait de leur forcer un peu la main pour les retrouver fidèles, qu’enfin le moment était venu pour eux de secouer l’opinion publique par un acte de vigueur ou de retomber peu à peu dans l’isolement et dans l’oubli. Or tout cela ne pouvait se faire que par la prompte déposition du président. S’ils parvenaient à faire prononcer la déchéance, c’était à un des leurs, au président du sénat, M. Wade, que la succession du pouvoir exécutif était légalement dévolue. De ce moment-là tout changeait de face : M. Wade devenait le candidat des républicains pour l’élection prochaine, il appuyait les radicaux de son patronage, il peuplait l’administration de ses créatures, il était élu président des États-Unis, et les radicaux s’assuraient pour quatre ans la possession du pouvoir, tandis que le général Grant se réfugiait piteusement dans le camp démocrate à la tête d’une poignée de modérantistes mécontens.

Telle était l’intrigue hardie que les leaders du congrès avaient conçue, et que l’on désignait déjà partout comme « la grande conspiration radicale, » conspiration toute publique, tramée au Capitole à portes ouvertes, et dont les auteurs ne se cachaient guère. Pour le moment, les oreilles du congrès étaient fermées à toute proposition belliqueuse, et M. Stevens entassait en vain ses réquisitoires dans les cartons du comité d’impeachment, mais les radicaux préparaient leurs armes en attendant le moment de l’action. Ainsi le sénateur Edmunds, prévoyant que l’affaire pourrait traîner en longueur, proposait de déposer provisoirement l’accusé pendant la procédure, afin qu’on pût sans retard s’approprier ses dépouilles et installer M. Wade à la Maison-Blanche. La cour suprême, ce gardien rigoureux de la légalité, avait été désarmée d’avance par les deux lois que nous avons citées. Enfin toutes les batteries étaient prêtes, et il ne manquait plus qu’une étincelle pour y mettre le feu. Les hommes prudens espéraient que le président se tiendrait désormais sur la défensive, et obligerait ses adversaires à respecter la trêve apparente qui le protégeait contre leurs coups. Les radicaux, qui le connaissaient bien, ne craignaient rien de pareil, et ils se