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avec fracas sur le Capitole. M. Johnson en un mot avait envoyé son message au congrès. Au lieu de se tenir dans la réserve prudente que les circonstances devaient lui commander, il semblait n’avoir vu là qu’une occasion nouvelle d’insulter ses adversaires. Dans ce document soi-disant officiel, et qu’il avait rédigé avec son intempérance ordinaire, il les menaçait ouvertement de la force, s’ils tentaient de le déposer. « En ce cas, disait-il, le président devrait assumer les hautes responsabilités de sa charge et sauver la nation à tout hasard. » Un tel langage venait à propos pour justifier la mesure que la chambre hésitait à prendre. On eût dit que M. Johnson craignait la clémence des radicaux, et qu’il se réjouissait à la pensée de soulever de nouveau la guerre civile.

Cette ridicule bravade faillit en effet changer les dispositions de la chambre. Pendant quelques heures, elle fut presque résolue à sévir. L’ordre du jour proposé par M. Wilson fut retardé par une suite de propositions dilatoires ; enfin l’assemblée prit le parti le plus sage, qui était de rire du président et de ses menaces. Un des représentans proposa plaisamment « que, pour éviter les conflits fâcheux que le président semblait prévoir, le corps de pages, qui composait actuellement la seule force militaire du congrès, fût immédiatement dissous. » Après une petite escarmouche oratoire, le rejet de la procédure fut voté par 118 voix. On remarqua que les représentants des états de l’est, naguère si grands partisans des mesures violentes, votèrent presque tous contre l’accusation : sur 10 députés du Massachusetts, 2 seulement la soutinrent ; ce furent les gros bataillons des états de l’ouest qui persistèrent jusqu’au bout dans cet acte de représailles inutile. C’était là un indice certain du vent qui soufflait sur l’opinion publique et qui l’éloignait chaque jour davantage de la politique à outrance des radicaux.

Après cette première alerte, tout était redevenu calme. Le président, glorieux de son attitude, mais secrètement humilié du dédain que lui avait montré la chambre, avait laissé le sénat réintégrer paisiblement le ministre Stanton aux bureaux de la guerre. Le prudent général Grant, toujours attentif à observer rigoureusement la lettre des lois, avait relu soigneusement le tenure of office bill, et s’était convaincu de la validité des droits du congrès. Il s’était retiré devant son compétiteur malgré les ordres formels du président, et il échangeait à cette heure avec l’irascible ML Johnson une série de lettres aigres-douces qui comblaient de joie les radicaux. Ceux-ci d’ailleurs prenaient leurs précautions contre la prochaine bourrasque : le nouveau bill de reconstruction de M. Bingham achevait d’annuler l’autorité du président en rassemblant tous les pouvoirs militaires entre les mains du lieutenant-général. Pour paralyser la cour suprême, qu’il regardait non sans raison