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représenter par un Hunnicut avait besoin à Washington de s’abriter, pour conserver son prestige, derrière le nom glorieux du général Grant. L’assemblée enfin qui disposait si lestement des droits et des libertés des hommes du sud ne parvenait point à déposer de la présidence l’homme qui conspirait avec eux.


II

Il est peut-être bien tard pour revenir aujourd’hui sur ce fameux procès d’impeachment, qui causa en Amérique une émotion si vive, en Europe un si profond étonnement, et qui faillit coûter le pouvoir au président qui l’avait lui-même provoqué. La personnalité de M. Andrew Johnson n’est désormais plus en cause. L’élection du général Grant vient de lui porter un coup décisif, et dont il ne se relèvera plus. Il peut maintenant aller grossir la liste des anciens présidens oubliés, et tout ce qu’il doit en effet désirer, c’est que le peuple américain l’oublie. Le maintien ou la déposition du président Johnson n’était d’ailleurs, il faut le dire, à l’époque où le procès eut lieu, qu’une question d’ordre secondaire, intéressant la discipline intérieure du gouvernement plus que la conduite des affaires, et, si j’ose employer cette expression en parlant d’un pays où il n’y a ni cour ni prince, une querelle de palais qui ne pouvait exercer qu’une influence indirecte sur la politique générale du pays. Cependant, comme ce procès a été le champ de bataille où les deux partis se sont escrimés pendant plusieurs mois, comme les radicaux y ont attaché longtemps toutes leurs espérances et toutes leurs ambitions électorales, comme enfin il a été le signal et l’occasion de leur défaite, il est nécessaire de le rappeler ici brièvement. Ce récit du moins ne peut manquer d’offrir un certain intérêt de curiosité au lecteur français, peu accoutumé à voir la personne même du chef du gouvernement paisiblement mise en question dans une cour de justice, à quelques pas de son palais.

Quand le congrès se réunit au mois de novembre de l’année dernière, le comité d’impeachment nommé dans la session précédente était encore à l’ouvrage. Les radicaux n’avaient nullement renoncé à renverser le président de son fauteuil. Au contraire, plus l’opinion s’éloignait d’eux, et plus cet acte de puissance leur semblait nécessaire, plus ils songeaient à reconquérir l’autorité par un coup d’audace. Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver des motifs au procès, ils allaient s’emparer des chefs d’accusation que M. Johnson venait de leur fournir par la destitution du secrétaire d’état de la guerre, M. Edwin Stanton. Ce ministre, désagréable au président à cause de ses opinions radicales, avait été chassé sommairement du cabinet et remplacé provisoirement par le général