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grande élection présidentielle, les démocrates, rentrant alors au pouvoir, arriveraient, à temps pour les délivrer.

Cette dernière espérance ne fut pas non plus de longue durée. Dans le Mississipi, dans l’Arkansas, dans la Caroline du nord même, les élections durent être recommencées faute du nombre de voix nécessaires. Déjà le congrès irrité s’occupait de prendre des mesures péremptoires contre cette « rébellion » d’une espèce nouvelle. A l’instigation de M. Thaddeus Stevens, toujours fécond en inventions de ce genre, la chambre des représentans décidait que la majorité relative suffirait désormais dans les élections des gouvernemens du sud. D’ailleurs les opérations électorales s’étaient poursuivies sans encombre, elles avaient mis presque partout le parti radical au pouvoir. Les nègres étaient venus en armes, conduits par leurs nouveaux maîtres, et ils avaient voté comme un seul homme pour les candidats de leur parti. A Savannah par exemple, deux ou trois mille noirs et neuf blancs seulement avaient pris part à l’élection. Les élus étaient presque tous des hommes nouveaux et obscurs, soit des radicaux venus pour chercher fortune, soit des aventuriers sans pudeur et sans foi, soit des démagogues ignorans sortis des classes les plus grossières. En Louisiane, dans la convention qui venait d’être nommée, deux délégués conservateurs étaient seuls pour tenir tête à seize hommes de couleur et à seize radicaux blancs. Dans l’Alabama, où la « convention constitutionnelle » était déjà réunie, elle comptait quatre conservateurs contre une centaine de radicaux. Dès l’ouverture de la session, elle avait pris contre les anciens rebelles des mesures d’exclusion si violentes que les radicaux de Washington eux-mêmes s’étaient vus forcés de la retenir. Le congrès n’avait plus qu’à les laisser faire, et grâce à la loi de reconstruction, grâce à la vigilance des gouverneurs militaires chargés de la faire respecter, les états du sud allaient se réorganiser d’eux-mêmes et rentrer l’un après l’autre dans le giron du gouvernement fédéral.

Ainsi s’évanouissaient une à une les dernières espérances des sudistes vaincus, tandis que la domination du parti radical s’appesantissait chaque jour sur leur pays. Par un de ces reviremens singuliers qui sont communs dans l’histoire des peuples, le nord et le sud semblaient avoir changé de rôles : l’esprit révolutionnaire s’emparait des états du sud au moment où l’esprit conservateur se réveillait dans les états du nord avec une énergie nouvelle. L’homme noir devenait tout-puissant dans les états du sud à l’heure même où ses anciens protecteurs devenaient impopulaires dans les états du nord. Un radicalisme démagogique allait régner sur les états du sud tandis qu’au nord le reproche de radicalisme atteignait presque les républicains modérés. Le parti qui en Virginie se faisait