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candidature du général Grant, les modérés avaient rencontré chez les radicaux une opposition des plus vives. Lors des élections annuelle du club de l’Union league à Philadelphie, le parti de Grant et le parti de Chase s’étaient livré une bataille rangée. Les discours les plus violens avaient été prononcés de part et d’autre, et, les amis de Grant l’ayant emporté sur ceux de Chase, les radicaux s’étaient retirés avec fracas de l’assemblée. Une scission paraissait inévitable, et les démocrates comptaient bien profiter de cette rupture pour s’attacher les républicains modérés et pour s’emparer de leur candidat.

Tandis que les républicains s’affaiblissaient par leurs divisions dans les états du nord, ils se fortifiaient chaque jour davantage dans les états du sud, où ils hâtaient de toute leur puissance l’organisation des nouveaux gouvernemens d’état conformes au plan de reconstruction du congrès. Ce sud, naguère si intraitable, qu’on n’avait pu dompter que par la dictature, se transformait comme par miracle, et semblait changer à vue d’œil sous la main de ces puissans magiciens qu’on appelait les gouverneurs militaires. Non-seulement on ne doutait plus de son concours aux élections prochaines, si on l’autorisait à y prendre part, mais les républicains modérés devaient encore y céder la place aux républicains extrêmes, et, si ces derniers parvenaient à la présidence, ce ne pouvait plus être que par le secours des états du sud. Par quel étrange revirement de fortune les opinions radicales, exilées du sol natal, trouvaient-elles refuge et assistance au cœur du pays ennemi ? par quel contraste inexplicable la patrie de la sécession, le foyer du parti démocrate, était-il devenu la forteresse et l’espoir du radicalisme ? On le comprendra aisément, si l’on se donne la peine de se rappeler les lois établies l’année dernière pour la reconstruction des états du sud[1].

Ces lois en effet n’étaient pas, comme on pourrait le croire, de simples décrets dictatoriaux pour assurer la sujétion de l’ancien pays rebelle, elles avaient un but plus élevé et plus difficile. Elles ne se proposaient rien moins que la conversion soudaine des états du sud aux idées républicaines et radicales. Par la concession des droits politiques à tous les hommes loyaux sans distinction de race, par l’exclusion systématique de tous les serviteurs du gouvernement confédéré, par l’usage arbitraire de ce droit d’exclusion confié aux autorités fédérales, elles assuraient une majorité presque certaine aux hommes de couleur et aux radicaux venus du nord pour les diriger. Ce corps électoral ainsi composé était convié dans chaque état à nommer une assemblée constituante, à voter une constitution, à élire une législature, à rétablir toutes les formes d’un

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1867.