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états du nord. L’avantage remporté par le parti démocrate, bien qu’assez insignifiant encore et dû peut-être en grande partie à des causes secondaires, semblait être le point de départ d’une réaction prévue depuis longtemps. Les majorités démocratiques avaient été généralement très faibles, parfois même incertaines et contestées ; mais, sans compter que cette égalité même accusait le déclin de l’influence républicaine, on voyait de tous côtés les signes avant-coureurs d’un de ces retours d’opinion suivis aussitôt dans les pays libres d’un retour de fortune et de pouvoir. Presque partout les radicaux ardens étaient remplacés dans les fonctions municipales soit par des républicains modérés, soit même par des démocrates. Boston, la ville des négrophiles, la capitale de l’abolitionisme, venait d’élire un maire démocrate. Les républicains de l’Ohio, tout en nommant un gouverneur unioniste, s’étaient prononcés fortement contre l’égalité des races et contre le suffrage des noirs. Il était évident que les chefs radicaux qui dirigeaient depuis deux ans la politique du congrès commençaient à dépasser la mesure et à lasser le sentiment public. Le moment semblait venu pour les démocrates de prendre leur revanche en ralliant tous les mécontens, et en rentrant à la présidence après huit ans d’exil.

De son côté, le parti démocratique s’était beaucoup amendé depuis trois ans. L’adversité l’avait renouvelé et rajeuni : il avait, comme on dit, fait peau neuve. Tout en résistant aux idées nouvelles, il n’avait cessé de les suivre à distance, et il se laissait entraîner. chaque jour davantage au mouvement de l’esprit public. Ce n’était plus ni cette minorité arrogante qui voulait naguère imposer l’esclavage au congrès et qui niait insolemment l’autorité du gouvernement de l’Union, ni cette faction anti-nationale qui pendant tout le temps de la guerre civile n’avait cessé de demander la paix à tout prix et de se réjouir des succès des rebelles. Instruits par les événemens, convertis par la force des choses, assouplis par leurs revers mêmes, les démocrates semblaient résignés à reconnaître les faits accomplis. Partisans du droit des états et de l’inégalité des races, ils n’avaient renoncé à aucune de leurs opinions anciennes ; mais, les yeux désormais tournés vers l’avenir, ils ne songeaient plus à réclamer contre des changemens irrévocables. Les principes et les préjugés sur lesquels ils s’appuyaient encore étaient restés constamment populaires et comptaient beaucoup de secrets adhérens même parmi leurs adversaires avoués. Peut-être enfin les démocrates modérés représentaient-ils mieux que les républicains la véritable opinion du pays. Ce qui leur nuisait, c’était le souvenir de leur attitude pendant la guerre et de leurs vœux à peine déguisés pour la rupture de l’unité nationale. Tout cela pouvait être effacé par quelques concessions habiles au patriotisme offensé des