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L'ELECTION PRESIDENTIELLE
AUX ETATS-UNIS

L’élection qui vient de se faire aux États-Unis, et qui a confirmé le pouvoir du parti républicain en portant le général, Grant à la présidence, n’est point un événement imprévu. Elle n’est le résultat d’aucun mouvement soudain dans l’opinion publique américaine, elle n’est le signe d’aucun changement dans la situation des partis, Il y a longtemps qu’elle se prépare et qu’elle n’est même plus mise en doute par les observateurs sensés. Nous nous hasardions dès l’année dernière à la prédire, alors que le succès partiel et passager du parti démocrate dans les élections locales des états semblait menacer le parti républicain d’une ruine prochaine. A notre avis, l’influence ancienne et populaire de ce grand parti qui avait soutenu la guerre civile et reconstitué l’union nationale n’était et ne pouvait pas être sérieusement atteinte, au moins avant longtemps ; c’étaient les radicaux qui, après avoir achevé leur œuvre, allaient retomber dans leur faiblesse première, et peut-être s’effacer dans l’oubli. Les républicains au contraire, affranchis de l’influence radicale, reviendraient sûrement à leur modération naturelle, à cette politique purement nationale dont les dangers de la guerre civile et la nécessité de frapper l’esclavage à sa racine les avaient détournés quelque temps[1]. La réaction inévitable contre les idées radicales

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1867. — Le lecteur n’a sans doute pas oublié les causes de la division des partis en Amérique. Les démocrates, partisans de la décentralisation à outrance et de l’indépendance absolue des états particuliers, nient l’autorité du gouvernement fédéral ou tendent à la restreindre. Les républicains au contraire sont les centralistes qui veulent incliner les droits des états sous la domination fédérale. Les états du sud, en brisant le lien national, mettaient leur prétendu droit de sécession sous l’égide de la doctrine démocratique ; les états du nord, en défendant l’Union, s’appuyaient au contraire sur la doctrine républicaine. D’un côté l’on voulait maintenir l’esclavage sous prétexte que les institutions locales ne pouvaient être attaquées par les lois du congrès ; de l’autre, en abolissant l’esclavage, on affirmait la suprématie du gouvernement de l’Union. Le parti républicain se divise lui-même en modérés et en radicaux : les modérés trouvent qu’on a assez fait en abolissant l’esclavage et en conservant l’union fédérale ; ils veulent respecter l’indépendance des états, tout en la contenant dans de justes bornes. Les radicaux sont ces républicains extrêmes qui s’attachaient plus à l’abolition de l’esclavage qu’au simple maintien de l’union fédérale, et qui à présent veulent imposer l’égalité absolue des races à tous les états, du nord et du sud.