Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Friedrich Schult, j’en conviens, mais pas le garçon du meunier de Gielow, ni l’amoureux de votre chambrière. J’ai renoncé au service de l’un et à la main de l’autre. Il y a une demi-heure que je suis enrôlé.

— Ma foi, je vous en félicite, reprit l’amtshauptmann, et je n’en suis que plus satisfait pour ce qui me reste à vous apprendre. C’est vous, n’est-il pas vrai, qui avez mis la main dans le temps sur la valise d’un maraudeur français ?

— Je ne le nie pas,

— Et vous avez raison. Écoutez maintenant, et tâchez de bien comprendre. Les Français ont renoncé à la propriété de cette valise et de ce qui s’y trouvait renfermé. Donc elle revenait à un camarade qu’on appelle Trésor Public. C’est un particulier assez rapace, et qui lâche rarement sa proie ; mais enfin cela peut lui arriver de temps en temps, quand une personne obligeante lui démontre l’utilité d’un pareil sacrifice. Or c’est là ce que je me suis appliqué à faire, et j’ai réussi. Trésor Public, ce jour-là d’humeur facile, a bien voulu se dessaisir en votre faveur de cette valise... Elle et le contenu appartiennent désormais à Friedrich Schult. La voici, ajouta l’amtshauptmann, qui avait ménagé de longue main ce petit coup de théâtre, et qui, disant ces mots, enleva le tapis sous lequel se dissimulait la précieuse sacoche.

Friedrich, étonné au dernier point, considérait tantôt la valise, tantôt l’amtshauptmann, qu’il soupçonnait évidemment de quelque mauvaise plaisanterie. Il finit par se gratter la tête en homme fort embarrassé d’arriver à une conclusion satisfaisante.

— Çà, mon bonhomme, qu’en dites-vous ? lui demanda le vieux herr.

— Dame, herr amtshauptmann, je vous remercie tout d’abord... Certainement je vous remercie, car c’est bien de la bonté ;… mais tout de même ça ne me va pas comme un gant.

— Cet argent ne vous va pas ?... Par exemple, si je m’attendais...

— Oh ! si fait, l’argent, je ne dis pas,... mais c’est le moment où il arrive. La petite ne veut pas de moi... Je me suis enrôlé,... je ne puis emporter un pareil magot dans mon havre-sac... Vous voyez la difficulté.

— Hum ! marmottait entre ses dents l’amtshauptmann, voilà une bizarre coïncidence ; puis, s’arrêtant en face de Friedrich et le regardant avec une expression toute particulière : — L’argent est rare en ce moment-ci, lui dit-il, et je connais un père de famille aux abois qui, si cela était possible, ferait volontiers un peu d’or avec le plus pur de son sang tandis que sa femme et son unique enfant sont en larmes devant lui... Sauriez-vous par hasard qui je veux dire ?