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pressibles de son prisonnier. — Pardon ! pardon i répétait ce malheureux à moitié mort de fatigue et d’angoisse.

Ensuite on rebroussa chemin vers Pinnow. Le vieux schult flottait entre deux sentimens contraires : la révolte intérieure que soulevait en lui l’étrange présomption du garçon meunier et l’admiration que lui inspiraient son aplomb, sa perspicacité, sa présence d’esprit, ses ressources inventives. Arrivés à Gulzow : — Que vous semble, lui dit tout à coup Friedrich, de ce cavalier qui galope le long de votre champ ?… Pourquoi cette allure d’enragé ? Compte-t-il gagner la pluie de vitesse ?

—-Grand Dieu ! répondit le bailli, ceci nous représente la jument brune de l’inspecteur Bräsig,.., et le cavalier qui la monte n’est autre que le burmeister de Stembagen..


XII.

C’était en effet mon père, que le schult se hâta de faire entrer dans sa maison, et qui put y remplacer par des vêtemens secs ses habits trempés de pluie, après quoi il fut tenu conseil sur ce que l’on ferait du prisonnier. Sa mine piteuse, son attitude humble et craintive, avaient ému le vieux bailli, qui volontiers l’eût envoyé se faire pendre ailleurs ; mais mon père ne voulut pas entendre à cette combinaison. Le meunier et le boulanger se trouvaient compromis à cause de ce drôle sans rien avoir à se reprocher. Lui au contraire, compromis comme eux, ne l’était que par sa faute et pour l’avoir pleinement mérité. L’équité la plus simple demandait que pour sauver un coupable on ne fit point tort à deux innocens. Tout ceci était irréfutable, et il fut convenu qu’on se bâterait de rentrer à Stemhagen dès que l’on disposerait de quelques moyens de transport. Or le fils du bailli, qui venait de s’évader des jardins du schloss, laissant dans l’embarras l’artillerie française, ramena fort à propos l’attelage paternel ; tous nos gens se mirent donc en route, entassés comme ils purent, dans le chariot de la ferme.

L’amtshauptmann n’avait pas encore quitté ma mère quand le bourgmestre reparut à la porte de la rathhaus, et il eut d’abord quelque peine à reconnaître un dignitaire municipal sous la jaquette du jeune Hans Besserdich (le seul babil de rechange dont la femme du schult eût pu disposer en faveur de mon père). Néanmoins il ne voulut pas lui donner le temps de revêtir un costume plus décent avant de l’introduire dans le salon, où étaient aussi Mme Neiting et même la Westphalen. Je laisse à penser si le travestissement du maître de la maison put diminuer en rien la joie