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régimens russes passaient le Danube, et, combinant leurs opérations avec celles de Kara-George, déblayaient la Morava.

Cette campagne de 1809, avec ses espérances et ses déconvenues, fit éclater de nouveau la discorde des chefs. L’issue n’avait pas été aussi malheureuse cependant qu’on pouvait le craindre : les Serbes avaient fini par chasser les Turcs de leur territoire, ils avaient même repris quelques-unes de leurs conquêtes en Bosnie ; mais après quelles angoisses ! au prix de quels sacrifices ! Les hospodars disaient : « Nous n’aurions pas laissé sur les champs de bataille un si grand nombre de nos meilleurs soldats, si Kara-George eût demandé plus tôt le secours des Russes. » Kara-George de son côté, voyant l’union toujours plus étroite des Russes et de ses rivaux, cherchait un protecteur moins menaçant que le tsar. Il songea au protectorat de l’Autriche, et fit à ce sujet des ouvertures directes au cabinet de Vienne. Depuis la dissolution de l’empire d’Allemagne, des hommes d’état autrichiens avaient conçu la pensée d’une Autriche nouvelle qui retrouverait sur les bords du Danube et de la Mer-Noire ce qu’elle perdait au sein des contrées germaniques. Les propositions du « commandant des Serbes » devaient éveiller leurs sympathies. Ce n’était là pourtant que des sympathies isolées ; il fallait encore bien des épreuves et bien des leçons terribles avant que la maison de Habsbourg comprît le rôle qu’elle peut jouer dans l’Europe orientale. Les événemens d’ailleurs vinrent couper court à ces négociations. La diplomatie russe avait flairé le péril, et dès le printemps de l’année 1810 le général Kamenski, commandant l’armée russe, ouvrait la campagne par des proclamations, où Kara-George était désigné comme le chef de la nation serbe. Jacob Nenadovitch, Milenko, Dobrinjatz, Milan Obrenovitch, tous les hospodars enfin, étaient obligés de reconnaître sa prééminence. Les populations qui avaient pu les croire assurés de la protection des Russes dans leur lutte contre le commandant étaient maintenant détrompées.

Nous n’avons pas à raconter en détail la campagne de 1810, mêlée comme la précédente de succès et de revers, d’angoisses poignantes et d’héroïques labeurs. Signalons seulement les deux principaux épisodes, l’un sur la frontière de l’est, l’autre sur la frontière de Bosnie. Un des généraux les plus habiles et les plus humains de la Turquie, celui qui fut l’adversaire redouté de l’odieux Ali de Tébélen, Kurchid-Pacha, venait d’être investi du pachalik de Nisch. De là était partie en 1809 l’invasion qui avait mis la Serbie en péril. Une nouvelle invasion eut lieu, plus terrible parce qu’elle était mieux conduite ; mais les Serbes firent des prodiges, et, secondés par la discipline russe, ils obligèrent les 30,000 hommes de Kurchid à regagner la frontière. Cela se passait au mois de septembre.