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projet fut rejeté. Qu’importe ? Malgré ce dédit qui ressemblait à la violation d’une promesse, le projet d’octobre 1806 a joué son rôle dans l’histoire ; pendant longtemps, « la paix de Pierre Itschko, » c’est ainsi qu’on l’appelait, est restée pour les Serbes le programme de L’avenir, et c’est de nos jours, seulement que le but a été atteint d’une manière définitive, puisqu’après tant de luttes, tant d’événemens, tant de négociations de tout genre, les derniers soldats turcs n’ont quitté les forteresses de Serbie que sous le règne du prince Michel Obrenovitch.

Kara-George résolut de poursuivre la guerre et d’obtenir par les armes ce qu’on lui refusait insolemment après des promesses mensongères. Il mit le siège devant Belgrade. Pendant la nuit du 12 décembre 1806, un hardi coup de main livra aux assiégeans les remparts extérieurs de la ville ; le lendemain à dix heures du matin, la ville était au pouvoir de Kara-George, et les kridschales qui l’avaient défendue s’enfermaient dans la forteresse. Quelques jours après, ils étaient obligés de capituler. Kara-George aurait voulu que la victoire fût aussi pure qu’elle avait été rapide ; mais comment dominer des bandes victorieuses qui avaient tant d’outrages à venger ? Au moment de la prise de Belgrade, il avait annoncé, que tout acte de pillage serait puni de mort ; il tint parole. Deux-Serbes qui avaient méprisé ses ordres furent passés par les armes, et le terrible chef fit clouer leurs membres sanglans aux portes de la ville. Justice sommaire, justice barbare ; il y avait encore tant de barbarie chez ce malheureux peuple à peine échappé de la servitude ! Partout où se trouvait Kara-George, la multitude sentait le frein ; aux lieux où manquait sa surveillance, les représailles éclataient d’autant plus furieuses. Lorsque Guschanz-AIi et ses kridschales, après avoir capitulé, sortirent de la forteresse et descendirent le Danube sur des barques, les Serbes de Milenko, établis sur une des îles du fleuve, les fusillèrent au passage sans le moindre souci des lois de la guerre. Quelques-uns même les poursuivirent, les poussèrent vers la rive opposée, les taillèrent en pièces jusque sur le territoire autrichien. Ce fut bien pis encore le 7 mars 1807. Soliman-Pacha, l’ancien gouverneur de Belgrade, avait obtenu un sauf-conduit pour ses 200 janissaires et un certain nombre de familles turques. Quand il fut à quelques heures de la ville, des bandes serbes assaillirent la troupe fugitive. Les soldats même qu’on lui avait donnés pour protéger sa retraite se joignirent aux assaillans. Pas un des malheureux n’échappa. Ivres de sang et de vengeance, les acteurs de ces horribles scènes revinrent continuer leur œuvre à Belgrade. Que peut la voix des chefs, même celle d’un Kara-George, quand ces frénésies s’emparent de la