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d’état Boulay de la Meurthe et Merlin[1]. Quelles que fussent en ces matières leurs tendances personnelles, il se trouva que ces serviteurs zélés de l’empereur, d’un mérite si éminent, quoique si inférieurs à leur maître, se montrèrent en cette circonstance beaucoup plus sages politiques que lui. Ils réussirent à lui faire peu à peu reconnaître qu’aux yeux du clergé français et de tous ses sujets attachés à la foi catholique un projet de loi délibéré par les membres laïques du sénat et du corps législatif n’aurait pas une suffisante autorité, et qu’il risquerait, malgré la sévérité des sanctions pénales dont il serait entouré, de ne rencontrer jamais qu’une très incomplète obéissance. Déjà quarante-huit heures auparavant M. Bigot de Préameneu avait eu le courage fort méritoire de soumettre quelques représentations à l’empereur sur les inconvéniens qu’il y aurait à interdire solennellement, comme dans un premier mouvement de colère il l’avait voulu faire, toute demande quelconque adressée au saint-père. « Je ne pense pas, avait dit M. Bigot dans son rapport, qu’il soit nécessaire de notifier cette volonté tant aux évêques qu’au peuple par des formes législatives. Ce qui n’est qu’une suspension provisoire prendrait aux yeux des malveillans la couleur d’un schisme[2]. »

De même qu’il s’était rendu aux remontrances de son ministre des cultes, de même l’empereur accepta sans trop d’impatience l’ouverture faite par les meilleures têtes de son conseil d’état et particulièrement par l’archi-chancelier. D’après l’avis plusieurs fois répété du prudent Cambacérès, il finit par se décider à consulter de nouveau le comité ecclésiastique qu’il avait appelé l’année précédente à délibérer sur les affaires de l’église de France. L’archi-chancelier n’était pas seul d’ailleurs à s’effrayer alors de la propension chaque jour plus marquée du chef de l’empire à se mêler des affaires de la religion et à s’immiscer violemment dans les questions de foi et de conscience. Bizarre interversion des rôles! tandis que des prélats désertaient par faiblesse la cause de leur église, d’anciens révolutionnaires, la plupart adversaires avérés des croyances catholiques ou pour le moins parfaitement indifférens, prenaient sous main sa défense par simple bon sens et par pure modération de caractère. « Ne vous compromettez pas inutilement, disait tout bas M. Regnauld de Saint-Jean-d’Angely de la part de ses collègues aux évêques de Tours et de Nantes; l’empereur ne vous écouterait pas. Laissez-nous faire; nous élèverons des objections à la commission du conseil d’état, nous ferons naître des obstacles, nous oppo-

  1. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 6 janvier 1811. (Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.)
  2. Rapport de M. Bigot à l’empereur sur les conséquences résultant de la défense qui serait faite d’adresser aucune demande au pape, 4 janvier 1811.