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l’ouest, la Morava et la Koloubara, eurent comme la contrée centrale immédiatement leur Kara-George.

Dans la Koloubara, le chef de l’insurrection fut un knèze nommé Jacob Nenadovitch ; à ses côtés marchaient deux vaillans auxiliaires, un pope et un haïdouk, tant il est vrai que tous les enfans de la Serbie, laboureurs, prêtres, bandits, confondus dans le même sentiment, se levaient, au même appel. Le pope s’appelait Lucas Lazarevitch, le haïdouk était le terrible Kjurtschia. Même élan dans la Morava, où Milenko, knèze de Klitschevatz, prit la direction du mouvement. C’était un homme doux et paisible ; mais les caractères les plus soumis, quand ils sont une fois décidés à la résistance, deviennent les plus indomptables. Par sa vie régulière, par son intelligence et son travail, Milenka avait acquis d’assez grandes richesses[1], il comprit qu’il était désigné le premier à la fureur des dabis, il sentit surtout qu’étant le plus riche il avait le plus d’obligations à remplir envers la communauté. Un autre personnage, Pierre Theodorovitch Dobrinjatz, associé aux affaires de Milenko, prit avec lui le commandement des Serbes de la Morava.

On n’avait guère le temps de délibérer. La même nécessité imposa le même plan de campagne aux chefs des trois provinces. En quelques jours, la population turque, chassée des villages et des petites villes, fut obligée de se réfugier dans les forteresses ; mais, une fois ce premier coup frappé, il fallait une direction souveraine pour soutenir une entreprise qui avait pris subitement de telles proportions. Quel serait ce chef unique chargé de rassembler toutes les forces du pays ? Les principaux habitans de la Schoumadia s’étant réunis pour le choisir, quelques-uns proposèrent un haïdouk nommé Glavasch, qui dès le premier jour de l’insurrection s’était distingué entre tous en faisant la chasse aux Turcs. « Je ne suis qu’un haïdouk, répondit simplement Glavasch, : je ne possède ni feu ni lieu, ni champ ni maison ; jamais la nation n’acceptera le commandement d’un homme qui n’a rien à perdre et rien à sauver » » Alors on se tourna vers Theodosi, knèze d’Oraschje, dans le district de Kragoujévatz. « Y pensez-vous ? dit celui-ci. Prendre un knèze pour chef ! Il faut tout prévoir, et dans le cas où nous serions battus, dans le cas où les Turcs reviendraient, qui donc vous protégera auprès d’eux, si vos knèzes sont compromis ? » L’excuse du haïdouk était généreuse et sensée, celle du knèze n’était ni moins sage ni moins patriotique. On ne s’était soulevé que contre

  1. Il s’agit surtout de richesses en bétail, en troupeaux de porcs. On se rappelle ici ce que Cicéron dit des premiers habitans de la campagne romaine, pâtres et gardiens de bœufs : Tum res erat in pecore, ex quo pecuniosi et locupletes vocabantur. — De Republica, II, 9.