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poléon ordonnait à son ministre des cultes de compter à l’évêque de Savone une gratification assez ronde[1].

Hors quelques faveurs insignifiantes ainsi dédaigneusement accordées soit pour leurs églises, soit pour eux-mêmes, les actes de singulière docilité que nous venons de raconter ne rapportèrent pas grand profit aux ecclésiastiques qui les commirent. Il est au contraire évident pour quiconque a étudié d’un peu près les actes et les paroles de l’empereur à cette époque de sa vie que l’obséquieuse démarche du chapitre de Notre-Dame et les nombreuses adhésions si facilement accordées aux complaisantes doctrines du cardinal-archevêque de Paris ne contribuèrent pas seulement à diminuer beaucoup la considération déjà quelque peu entamée que Napoléon avait jadis professée pour le clergé catholique; elles le poussèrent encore à demander davantage. A partir de ce moment, on le vit en effet proclamer en toute occasion et plus haut que jamais cette maxime d’état, qu’évêques, chanoines et curés lui devaient tous une obéissance égale à celle des autres fonctionnaires de son empire. Et, de bonne foi, quoi d’étonnant? Quand au sein d’une église, dont l’autorité doit être toute morale, les grands caractères ont graduellement disparu, quand le soin de sa dignité préoccupe si peu chacun de ses membres qu’au lieu d’en ressentir la perte comme une honte irréparable les plus considérables ne regardent pas à s’en prévaloir comme d’un mérite, il est rare que celui qui a exigé ces désastreux sacrifices en demeure longtemps reconnaissant. En exaltant son orgueil, ils en ont fait pour leur malheur et pour le sien un despote dont un jour ou l’autre ils se sentiront eux-mêmes incapables de satisfaire les croissantes exigences.

Tel était déjà, au commencement de 1811, l’étrange état d’esprit où était tombé l’ancien auteur du concordat qu’un instant il ne songea à rien moins qu’à régler par voie législative, avec le seul concours de son sénat et de ses députés, la question de l’institution canonique des évêques. Le jour même où il avait reçu aux Tuileries la députation des chanoines de Paris, frappé sans doute de l’humilité de leur attitude, qui ne faisait prévoir aucun obstacle, comptant pour l’aider dans cette œuvre sur le cordial appui de plusieurs membres de son conseil qu’il savait être mal disposés pour le saint-siège. Napoléon donna l’ordre à son ministre des cultes de réunir dans une même commission l’archi-chancelier Cambacérès, le ministre d’état Regnauld de Saint-Jean-d’Angely et les conseillers

  1. « Donnez 6,000 livres de gratification à l’évêque de Savone, qui est fort pauvre. » — Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 10 mars 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 459.