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« Le pape est toujours dans le même état, raconte un peu plus tard M. de Chabrol, il ne s’explique sur rien, et garde un profond silence avec tout le monde. » Le préfet de Montenotte ayant cherché à mettre la conversation sur le concile national, qui avait été convoqué pour le 9 juin, et qu’à cette époque il devait supposer prêt à se réunir à Paris, quoiqu’en fait il eût été retardé jusqu’au 17, le pape ne répondit absolument rien. « Absorbé dans un complet silence, il a fermé les yeux dans l’attitude d’un homme qui réfléchit profondément, et n’en est sorti que pour dire : Heureusement je n’ai rien signé. Je lui ai dit de prendre plus confiance en ce qu’il avait adopté dans sa conscience, qui n’avait besoin ni de signatures, ni de conventions faites par les lois civiles. Il m’a répondu que depuis ce moment il avait perdu tout repos, et il est tombé dans la même absorption. »

Toutes les dépêches du préfet de Montenotte que nous venons de citer sont officielles. Dans une lettre particulière adressée à M. Bigot de Préameneu, à un moment où il croyait prématurément que la maladie de Pie VII avait pris fin, M. de Chabrol s’explique plus clairement sur l’état réel de la santé du pape, et prononce un mot qui n’aurait pas trouvé place sous notre plume, s’il ne se lisait d’abord dans la correspondance intime, mais authentique du préfet de l’empire… « Cette lettre étant confidentielle, je crois nécessaire de faire connaître à votre excellence qu’il est impossible de traiter avec le pape sans qu’il soit environné d’un conseil aussi sage que ferme, afin de le maintenir constamment dans la même résolution. Vous aurez vu par mes dernières lettres que l’incertitude du pape quand il est livré à lui-même va jusqu’à altérer sa santé et sa raison. Dans ce moment, l’aliénation mentale est passée, et l’indisposition physique est moins grave ; mais tout annonce qu’il faut nécessairement des soutiens à un esprit affaibli et à une conscience ombrageuse[1]. »

Ainsi donc, de l’aveu de l’un des plus dévoués serviteurs de Napoléon, de l’agent le plus intimement et le plus activement mêlé au secret de toutes ces déplorables affaires de Savone, le chef de l’église catholique était devenu fou, fou par suite de la séquestration où l’avait tenu, loin de toute espèce de conseil et d’appui, le souverain heureux et triomphant qui affichait pompeusement aux Tuileries l’orgueil de sa noble alliance avec une archiduchesse d’Autriche et les joies de sa récente paternité, fou par suite des tortures morales qu’imposait à sa conscience de pontife un politique qui était pour son compte affranchi de pareilles préoccupations. Si la raison du saint-père a pu malheureusement sombrer un instant

  1. M. de Chabrol au ministre des cultes, 30 mai 1811.