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l’on craindrait, en semblable matière, de paraître ajouter quoi que ce soit à des détails si tristes par eux-mêmes.


« J’ai eu l’honneur, écrivait M. le préfet de Montenotte à M. Bigot, d’annoncer à votre excellence que le pape semblait s’être réservé la journée d’hier pour réfléchir sur les lettres qui lui ont été remises. Ce jour a été employé à bien établir nos relations dans l’intérieur du palais de manière à connaître ce que le pape pourra laisser échapper dans la conversation familière, et à pouvoir lui faire connaître au besoin d’une manière directe, quoique non officielle, ce qu’il est convenable qu’il apprenne pour faciliter la négociation[1]. »


Quels étaient donc ces moyens secrets de surveillance et d’action si importans à établir, et sur lesquels le préfet de Montenotte fondait de si grandes espérances ? Faut-il le dire ? Le médecin du pape avait été gagné sous main à la cause de celui qui tenait son maître emprisonné. Peut-être ces honteux marchés ne sont-ils pas aussi rares que nous le souhaiterions. Ce qui est vraiment extraordinaire, croyons-nous, c’est de voir un chef d’état s’abaisser dans l’histoire jusqu’à y intervenir directement ; mais l’affaire était d’importance, et de pareils scrupules n’étaient pas faits pour arrêter l’empereur. Ainsi que nous l’avons précédemment raconté, c’était déjà Napoléon qui le 31 décembre 1810 avait écrit de sa propre main au ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu, pour lui dire qu’il fallait que le pape souffrît en sa personne du ressentiment qu’il avait de sa conduite, qu’on eût à lui ôter ses voitures et à réduire considérablement l’état de sa maison de façon à n’y pas dépenser plus de 12 à 1,500 fr. par mois. Les choses avaient en effet été réglées de telle sorte qu’à partir du mois de janvier 1811 une somme d’argent calculée à 25 sous par jour et par tête (le pape compris) avait été allouée pour l’entretien de toute la maison pontificale[2]. Cependant les bons offices de ce médecin du pape méritaient une autre rémunération, et Napoléon les appréciait trop pour qu’on puisse lui reprocher de les avoir oubliés. « Mandez au médecin Porta que vous avez mis sa lettre sous les yeux de l’empereur, écrit-il à son ministre des cultes ; dites-lui que sa majesté a mis en marge de sa lettre d’Amsterdam que, quelques discussions qu’il y ait eu entre le pape et sa majesté, et quoiqu’elles aient été plus ou moins vives,

  1. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 10 mai 1811.
  2. « … Fu sospesa la tavola pagata fin allora dal governo sanza alcun limite, e d’or inanzi ad ogni individuo, comprese il papa, furono assignati cinque paoli al giorno, con il qual danaro si doveva pensare ad ogni sorta di apese… » (Manuscrit italien du valet de chambre du pape, British Museum, no 8389.)