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L’ESCLAVE À ROME.

tin ni Claude n’arrêtèrent le mal. Les inscriptions nous font voir que leurs lois étaient ouvertement violées[1]. On y trouve des femmes libres qui n’hésitent pas à nous apprendre qu’elles ont épousé leurs affranchis ou leurs esclaves, qui ne se font aucun scrupule de dire qu’elles les ont aimés pendant leur vie et qu’elles les pleurent après leur mort. L’assurance avec laquelle elles avouent ce mariage si sévèrement défendu prouve bien qu’elles ne craignent guère le sénatus-consulte de Claude ou les rigueurs de Constantin. Ici encore la loi a beau faire, l’humanité résiste et l’emporte.

IV.

J’ai fini d’étudier les rapports de l’esclave avec ses maîtres et ses camarades. Je l’ai suivi, comme je l’avais annoncé, dans son passage à travers la famille. Après avoir montré de quelle façon il la traverse, il me reste à faire voir comment il en sort. Il n’y a pour lui que deux manières de la quitter, l’affranchissement et la mort. La mort préoccupait beaucoup l’esclave : ce n’est pas qu’il la redoutât pour elle-même, on a vu que les supplices ne l’effrayaient pas, sa vie lui appartenait si peu qu’il en faisait facilement le sacrifice ; mais il songeait avec terreur à ce qui suit la mort, à la sépulture. Pour l’antiquité tout entière, le plus grand malheur qui pût arriver à un homme, c’était de n’être pas convenablement enseveli. Les lettrés eux-mêmes, ceux qui se prétendaient au-dessus des opinions du vulgaire, subissaient ce préjugé ; il était plus fort encore chez les pauvres gens. La préoccupation de la sépulture devait naturellement inquiéter davantage ceux qui couraient le plus de risques d’en être privés. Le riche possédait le tombeau de sa famille sur la Voie-Appienne ou la Voie-Latine, il était sûr de trouver une place à côté de ses pères, qui l’attendaient. Le sort réservé à l’esclave était beaucoup plus triste ; s’il ne laissait pas de quoi se faire ensevelir honnêtement, ses funérailles étaient assez sommaires. Ses camarades se hâtaient de venir le prendre dans cette étroite cellule où il était mort ; on le plaçait dans une bière grossière, on l’emportait la nuit avec le moins de bruit possible, et on allait le jeter dans des sortes de puits ou d’excavations naturelles qu’on appelait des pourrissoirs (puticuli) ; il y en avait de célèbres sur l’Esquilin, à l’endroit même

  1. Une de ces inscriptions est assez curieuse : elle est d’un esclave que sa maîtresse a épousé. Il ne peut pas se faire à cet honneur ; il est humble, respectueux ; il l’appelle son excellente maîtresse, optima domina ; il parle de sa bonté, de ses bienfaits envers lui ; il dit qu’il l’a déposée dans le tombeau de ses pères, et ne semble pas oser prendre place à côté d’elle. Celui-là, en devenant mari, n’avait pas cessé d’être esclave. Cet exemple semble bien confirmer ce que nous dit Tertullien, qu’en épousant quelqu’un qui n’avait pas le droit de les contraindre les femmes voulaient conserver la liberté de tout faire.