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de l’adresse fut remise à l’orateur du chapitre aux Tuileries mêmes, quand déjà il était en présence de l’empereur, du grand aumônier et du ministre des cultes. Quelle ne fut pas la surprise de l’abbé Jalabert lorsque, se mettant à lire à haute voix la pièce qu’il avait entre les mains, il s’aperçut qu’on y avait modifié pour les affaiblir les témoignages d’affectueuse estime que le chapitre avait tenu à y insérer en faveur du pauvre abbé d’Astros, tandis qu’on avait au contraire rétabli le texte primitif de tous les passages changés sur les observations de l’abbé Émery. Intimidé par l’appareil si nouveau pour lui de la cour impériale, M. Jalabert ne fut pas assez maître de lui pour rétablir le texte effectivement voté par le chapitre, et l’adresse fut lue sous l’œil attentif de l’empereur telle que le cardinal Maury l’avait d’abord rédigée, et telle qu’on la trouve exactement reproduite dans le Moniteur[1] du 7 janvier 1811.

S’il ne nous appartient en aucune façon de prononcer sur l’orthodoxie des doctrines émises par le chapitre métropolitain de Paris, si nous ne sommes pas davantage en mesure d’indiquer la teneur précise des altérations imposées à l’œuvre des chanoines de Notre-Dame, nous pouvons en revanche donner pour la première fois au public le résumé authentique de la réponse du chef de l’état. Cette réponse avait été longuement méditée. Napoléon savait très bien que ses sujets catholiques, malgré toutes les précautions qu’il avait prises, ne laissaient pas de se préoccuper beaucoup plus qu’il n’aurait souhaité de ses démêlés avec le saint-père. Il devinait aussi parfaitement, quoiqu’il affichât à cet égard la plus su-

  1. Voir la Vie de l’abbé Emery, t. II, p. 293. — L’impartialité, qui est notre loi, nous oblige à dire que M. Poujoulat, dans la vie qu’il a écrite du cardinal Maury, rapporte qu’il a été amené à douter un peu de cette substitution d’une adresse à une autre. Ce doute lui est venu, dit-il, à la suite de la connaissance qu’il a eue de quelques papiers laissés par M. Picot, qui avait tenu lui-même entre les mains une note écrite par l’abbé Jalabert, laquelle ne justifierait pas ce soupçon. Nous croyons qu’il y a ici une simple confusion de mots. Jamais il n’a été question parmi les personnes bien informées de la substitution intégrale d’une adresse à une autre. Si c’est là l’erreur qu’a voulu redresser M. Picot, il a eu parfaitement raison. Il s’agit uniquement de savoir si, grâce à un procédé peu scrupuleux dont nous avons déjà rencontré trop d’exemples dans le cours de cette histoire, le texte d’un document public a été irrégulièrement modifié dans quelques-unes de ses parties, parce qu’il gênait les convenances impériales. Le cardinal Maury, par amour-propre d’auteur ou par ordre de l’empereur, a-t-il eu recours à une ruse vulgaire afin de procurer une satisfaction plus complète aux passions qui lui étaient communes avec son maître ? Voilà tout le débat. Il nous paraît, quant à nous, tranché par l’affirmation du respectable M. Garnier, qui tenait tous les détails de cette audience de son intime ami l’abbé Émery. M. Jalabert l’aurait d’ailleurs raconté lui-même à l’auteur de la vie du directeur de Saint-Sulpice. Les témoignages de M. l’abbé Garnier, de M. Émery, la parole de M. Jalabert encore vivant, ne sont-ils pas plus dignes de créance que cette note si vague trouvée après sa mort, et qui n’a d’ailleurs jamais été produite ?