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seigneur. La comparaison s’offre d’autant plus naturellement à l’esprit que les spectateurs du premier soir n’étaient pas éloignés de trouver ce proverbe d’une espièglerie assurément spirituelle, mais légèrement effrontée. Il y a dans les allures de M. de Grailles, dans la déclaration cavalière qu’il adresse à la femme qu’il aime, la croyant mariée, dans le regard oblique dont il lorgne le portrait du mari en voyant cette déclaration acceptée, dans son comique désespoir en apprenant qu’il a en face de lui une veuve, une nuance de grivoiserie un peu trop marquée, et que la vivacité du dialogue, la dextérité de l’exécution et du style, ont eu quelque peine à sauver. Quand une indiscrétion peu justifiable a révélé au même M. de Grailles que la jeune veuve est encore une jeune fille, il se répand aussi en démonstrations d’une joie si expansive qu’au parterre les sourcils se sont un moment froncés. Tout est bien qui finit bien, et en somme l’événement a donné raison aux auteurs, puisqu’ils ont fini par conquérir la salle, soit; mais ils ont dû s’apercevoir que plus d’un incident qu’on accepte assez facilement à la lecture prend à la lumière brutale de la rampe un relief compromettant, et ils feront bien désormais de se préoccuper davantage de ces effets d’optique théâtrale. Peut-être aussi M. Coquelin n’était-il pas tout à fait l’homme de ce rôle. Les qualités qui le servent si bien ailleurs se tournaient contre lui. Son jeu nerveux, incisif, déluré, accentuait hardiment des détails qu’il eût été plus sage d’atténuer. Mme Madeleine Brohan, qui lui donnait la réplique, a nuancé avec un instinct délicat de femme et de comédienne le personnage de la jeune veuve.

Une pièce qui ne laisse pas d’être hardie, mais dont l’audace est plus heureuse, c’est celle où M. Edouard Pailleron nous initie aux mystères du Monde où l’on s’amuse, qu’il a eu la bonne fortune de découvrir. Ce monde de mœurs libres et d’apparence correcte, voici la définition qu’en donne un explorateur compétent : ce n’est pas le demi-monde à cause des maris, ce n’est point le vrai monde à cause des femmes. Il est charmant du reste, et aussi agréable à parcourir que difficile à galamment représenter. M. Pailleron nous y introduit en écrivain qui possède les secrets de son métier. L’ayant découvert, il ne cède pas à la tentation de vous faire part à mots explicites de sa trouvaille. Il vous mène dans un salon élégant, les meubles sont riches, les domestiques irréprochables, le ton des maîtres parfait; cependant mille symptômes, mille riens furtifs, vous avertissent que vous êtes en présence d’une variété de grands seigneurs très particulière. C’est un geste à demi réprimé, un signe d’intelligence échangé avec une soubrette, c’est la faconde de ce coiffeur dont émane je ne sais quel parfum de familiarité obséquieuse, qui vous mettent sur vos gardes. La première scène n’est pas finie que l’auteur et le spectateur sont d’intelligence et s’entendent à demi-mot. M. Pailleron s’est ainsi donné le moyen de pouvoir faire entendre beau-