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litique, si un régime régulier et sensé s’établissait promptement au-delà des Pyrénées. L’Espagne est un pays qui prendrait vile un essor merveilleux sous un gouvernement intelligent ; mais on délibère à Madrid, on se repose dans la satisfaction de la victoire, on ajourne les affaires sérieuses, et on se réveille avec une insurrection à Cuba qui est aussi dangereuse qu’une insurrection sur le continent, car il s’agit d’une des plus riches possessions espagnoles d’outre-mer. Ce serait un peu trop fort que l’Espagne eût fait une révolution pour donner Cuba aux États-Unis.

L’Angleterre marche aujourd’hui à grands pas vers le dénoûment de la crise d’élection où elle est engagée depuis quelques semaines. Nous nous servons de ce mot de crise parce que dans le fait c’est bien une des phases les plus sérieuses et les plus décisives pour la politique anglaise, car autrement rien ne ressemble moins à une crise que cette agitation légale, pacifique, d’un peuple accoutumé à exercer librement tous ses droits, d’un pays où les partis luttent à armes égales pour se disputer la prépondérance. Encore quelques jours, et la question sera souverainement tranchée. La proclamation royale qui dissout le parlement vient d’être lancée. Un instant, il est vrai, avec cet empressement qu’on met à tout admettre de la part d’un homme qui n’en est plus à son premier tour d’habileté, on avait supposé M. Disraeli capable d’imaginer quelque léger ajournement de façon à se trouver le plus tard possible, après les fêtes de Noël, en face du nouveau parlement. On ne prête qu’aux riches, et en Angleterre on est toujours disposé à prêter beaucoup d’intentions à M. Disraeli. Si le chef du ministère a eu cette idée, il ne l’a pas eue longtemps. La proclamation qui dissout le parlement est venue dissiper tous les doutes, elle tombe comme un dernier signal de combat au milieu d’adversaires tout prêts pour la lutte ; elle ne prend en vérité au dépourvu ni les libéraux ni les conservateurs. Depuis plus d’un mois, les uns et les autres sont en campagne et multiplient les efforts pour tirer tout le parti possible du reform-bill. M. Gladstone, comme chef de l’opinion libérale, ne s’est point ménagé ; il a payé de sa personne en vaillant leader. Il y a eu des semaines où il n’a point passé un jour sans haranguer les électeurs à Leigh, à Ormskirk, à Liverpool, à Wigan, à Warrington, reprenant une à une avec une singulière énergie et une inépuisable abondance toutes ces questions des finances, de l’établissement de l’église d’Irlande, de la réforme parlementaire. M. John Bright, le fougueux orateur qui se modère à mesure qu’il approche du pouvoir, a fait, lui aussi, comme M. Gladstone et M. Stuart Mill, l’éminent philosophe, se comporte comme les autres dans les meetings, soutenant avec sa nuance de radicalisme la cause libérale. La reform-league a donné tout entière dans cette campagne, non sans quelque confusion, et en définitive plus on avance vers les élections plus il semble que les chances du cabinet di-