Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blier une loi électorale » C’est bien le suffrage universel sans condition de cens, mais avec la condition de vingt-cinq ans d’âge, ce qui diminue notablement le nombre des électeurs. Il reste maintenant à réunir cette assemblée, qui n’est point élue, qui ne le sera que le mois prochain, et pendant ce temps le ministre de l’intérieur, M. Sagasta, fait des lois pour réglementer le droit de réunion, le général Prim fait des circulaires pour exhorter l’armée à ne point se mêler de politique, à rester sourde aux suggestions factieuses. Les choses iraient on ne peut mieux, si tout cela ne formait pas une douce anarchie où l’on s’enfonce avec une humeur sereine, faute d’une idée, ou peut-être faute d’oser dire nettement ce qu’on pense.

La politique, c’est beaucoup, et ce n’est pas encore le plus grand danger ; c’est surtout par les finances que la révolution espagnole est dans l’embarras. Le ministre des finances, M. Figuerola, a dévoilé avec une courageuse franchise la gravité de la situation de l’Espagne. Dans son rapport, il a démontré la nécessité d’un emprunt de 2 milliards de réaux effectifs. 500 millions de francs, telle est la nécessité immédiate, impérieuse, et on pourrait même dire que cela ne suffit pas, que c’est un expédient bon tout au plus à pallier la détresse d’un moment. Il y a en effet un arriéré de 2 milliards 500 millions de réaux qu’il faut bien combler, et ce n’est pas tout. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut mettre au compte de l’année courante moins de 7 ou 800 millions de déficit, ce qui s’explique tout naturellement par les faux calculs de l’ancien gouvernement, par les diminutions d’impôts depuis la révolution, par les mesures des juntes, par la nécessité de faire face à la disette dans certaines provinces, à l’absence de travail pour les classes nécessiteuses. 800 millions de déficit, c’est vraiment très modéré ! D’un autre côté, d’après le dire de M. Figuerola, la dette espagnole s’est accrue depuis dix ans de 50 pour 100 en capital, de 130 pour 100 en intérêts, ce qui s’explique encore très bien par toutes les opérations ruineuses qui ont été faites. La dette figure aujourd’hui au budget pour près de 600 millions, plus que le quart des dépenses de l’Espagne. C’est dans ces conditions qu’il faut encore aujourd’hui se procurer, naturellement avec perte sur le capital, 2 milliards de réaux effectifs, qui, tout compte fait, coûteront quelque chose comme 10 pour 100 d’intérêt. Et quelle garantie sérieuse a-t-on à offrir pour rassurer ou attirer les prêteurs ? Des biens nationaux ou des ressources diverses pour 2 milliards 100 millions. Une maigre garantie, un budget déjà surchargé par la dette, des impôts désorganisés, des surcroîts de dépenses inévitables, voilà donc le cortège de cet emprunt qu’on ouvre aujourd’hui. Nous souhaitons bonne chance à M. Figuerola. Si c’est l’homme des miracles financiers, il a l’occasion belle ou jamais. Ce ne serait rien encore cependant, et l’Espagne s’en tirerait, si une impulsion énergique relevait sa po-