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s’attendait de la part de ses plus fidèles et plus sensés partisans, qu’il avait si cruellement traité le conseiller d’état Portalis. C’était surtout afin de réduire le clergé au silence en lui donnant bien à comprendre que toute résistance lui serait imputée à crime, qu’il avait hautement parlé de faire fusiller le malheureux abbé d’Astros, grand-vicaire de Notre-Dame.

S’entretenant plus tard à Sainte-Hélène avec ses compagnons de captivité, il a pu convenir à Napoléon de représenter les scènes que nous avons racontées comme autant de mouvemens de vivacité qui lui étaient involontairement échappés, et qu’il avait été dans le moment même le premier à regretter. Rien de moins fondé; son désappointement eût au contraire été fort grand, si le public du temps les avait ainsi interprétées. Loin de chercher à en atténuer l’effet, il fit alors tout ce qui dépendait de lui pour en prolonger autant que possible le terrible retentissement. Les preuves abondent à cet égard. Courageux jusqu’au bout, M. Pasquier n’avait pas craint, au sortir de la séance où M. Portalis avait été chassé du conseil d’état, de prendre la plume pour défendre par écrit, comme déjà il l’avait fait de vive voix, la cause de son ami, s’accusant derechef de n’avoir pas su tirer plus de parti de la confidence qu’il en avait reçue. M. Portalis, un peu remis de son premier trouble, avait tâché de son côté de se disculper lui-même, et le duc de Bassano s’était généreusement chargé de remettre de sa propre main à l’empereur la défense de son serviteur disgracié. Napoléon, irrité, ne daigna pas ouvrir la lettre de son préfet de police ni celle du fils de son ancien ministre des cultes. Elles étaient toutes deux encore cachetées sur son bureau lorsqu’il donna tranquillement au duc de Rovigo l’ordre de faire partir M. Portalis dans la nuit même pour le lieu de son exil. Le lendemain, quand il rencontra M. Pasquier à son lever, il ne trouva que des reproches à lui adresser au sujet d’une démarche qui avait rencontré l’approbation des personnes les plus attachées elles-mêmes au régime impérial. « J’ai peur, monsieur le préfet de police, lui dit l’empereur, que vous n’ayez pas une assez juste idée des devoirs d’un conseiller d’état. » Quarante-huit heures après, il prenait la peine d’écrire au vice-roi d’Italie uniquement pour lui faire part de ce qui venait de se passer. « J’ai, disait-il, chassé M. Portalis de mon conseil; je lui ai ôté toutes ses places, et l’ai exilé à quarante lieues de Paris. Je vous mande ceci afin que l’on soit bien convaincu de mon intention prononcée de faire cesser cette lutte scandaleuse de la prêtraille contre mon autorité[1]. »

  1. L’empereur au vice-roi d’Italie, 5 janvier 1811. — Même lettre au prince Borghèse et à la grande-duchesse de Toscane. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 353. — La colère de Napoléon contre M. Portalis s’amortit toutefois avec le temps. En 1812, M. le comte Molé, alors grand-juge, l’ayant proposé pour la place de premier président à la cour impériale d’Angers, l’empereur signa sa nomination sans difficulté. Quant à l’abbé d’Astros, il paraît qu’il en coûtait davantage à l’empereur de lui pardonner, car il demeura prisonnier à Vincennes jusqu’au 9 février 1814. Quand les cosaques approchèrent de Paris, on le transporta, en compagnie de trois autres détenus ecclésiastiques, dans les prisons civiles d’Angers. Par une étrange coïncidence, ce fut son parent et son ami, le premier président Portalis, qui fut chargé d’aller peu de jours après lui annoncer à la fois sa délivrance, la chute de Napoléon et la restauration des Bourbons.