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chaîné par leur avis, le ministre en tient volontiers compte; mais, soit qu’une politique supérieure intervienne, soit que d’un projet à un autre les conditions se balancent, ne peut-il pas arriver qu’au milieu de tous ces concurrens il y ait place çà et là pour des préférences conditionnelles? Cela s’est vu, cela se verra probablement encore; sans même aller si loin, il est constant que des localités qui attachent un si grand prix à une faveur officielle n’ont plus qu’une indépendance relative, et sont tentées, en prenant les devans, d’aplanir les voies aux concessions qu’elles attendent.

Voilà déjà bien des issues ouvertes aux influences; elles ont en outre un champ plus vaste indiqué dans une enquête agricole dont les résultats viennent d’être publiés. Cette enquête est pour l’agriculture ce qu’étaient les cahiers des états-généraux en 1789, l’inventaire de ses besoins et de ses griefs. Ce travail est curieux à beaucoup d’égards; nous n’en tirerons ici que ce qui touche à notre sujet.


II.

Rien ne prouve mieux que l’origine de cette enquête à quel point les campagnes, dès que leur intérêt est en jeu, sont disposées à se dérober aux mains qui croient les tenir. Il y a quelques années de cela, une suite d’abondantes récoltes avait fait tomber le prix des grains à des moyennes de 15 et 16 francs l’hectolitre. L’accroissement des quantités ne compensait pas, au dire des cultivateurs, l’avilissement des prix; ils se déclaraient lésés, ruinés même, si cette crise se prolongeait. Le débat fut porté à la tribune, et on y réchauffa si bien les cendres de vieilles querelles qu’il faillit en sortir une explosion. Les uns parlaient du rétablissement de l’échelle mobile, les autres se contentaient d’un droit fixe; le biais importait moins que ce phénomène d’un orage éclatant dans un ciel serein. Si des élections générales avaient eu lieu à ce moment-là. Dieu sait comment elles auraient tourné. L’embarras du gouvernement n’était pas médiocre : il ne pouvait ni rompre ni céder; aucun tempérament n’est possible à propos d’une denrée qui ne comporte pas autre chose que la liberté et l’immunité avec les alternatives favorables et défavorables qui s’y attachent. Que faire? Comment conjurer cette agitation sans y engager à faux des principes élémentaires? C’est alors que l’idée survint d’une enquête établie sur les plus grandes proportions, et réfléchissant au vrai l’état des industries rurales. Plus la tâche était étendue, plus elle devait durer; le gouvernement mettait ainsi de son côté le bénéfice du temps et de la réflexion. Ce calcul ne fut pas déçu. Six mois ne s’étaient pas écoulés que les dispositions des esprits étaient déjà