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puis lors, pour l’ingérence officielle, les choses n’ont fait qu’empirer; partout les minorités ont gagné du terrain, et l’élection du Jura a comblé la mesure. Dix revanches ne répareraient pas cet éclatant échec, et ces revanches, au lieu d’être un jeu comme autrefois, seront un combat. Qu’y faire? L’esprit public a de ces retours devant lesquels il vaut mieux s’incliner que se raidir; ainsi pense-t-on, et sur beaucoup de points les allures ont changé. Le préfet n’est déjà plus l’homme de 1852; il porte moins fièrement la tête et consent à être discuté. Il sent que, s’il abuse, la tribune est là pour recueillir les plus gros griefs, la presse les plus petits; il s’observe, se surveille mieux. De leur côté, les députés patronnés commencent à se mettre en frais pour des mandataires qu’ils n’ont jamais vus; ceux d’entre ces députés qui ont la parole aisée débitent à l’occasion quelques discours, ceux qui se défient de leurs facultés oratoires y suppléent par des semences de choix ou de bons modèles d’instrumens agricoles. Tout est profit pour les campagnes dans ces résipiscences. Non-seulement on ne les mène plus militairement, mais on a pour elles des procédés empruntés à un aphorisme médical bien connu : ménagemens, douceur et bonne grâce. Pourquoi cela? C’est qu’on craint leur défection.

Pour juger à quel point ces craintes sont fondées, il convient de se rendre compte de ce qu’est une élection dans les campagnes en la comparant à une élection dans les villes. Voici les deux acteurs en présence, l’ouvrier d’une part, le paysan de l’autre. L’ouvrier a sous la main tous les moyens de s’éclairer sur ce qu’il va faire, les journaux, les affiches, les réunions publiques, désormais autorisées, les informations personnelles; son seul embarras est de bien choisir. Ce choix est-il fait, l’ouvrier n’a ni influence à subir ni précautions à prendre; hostile ou non, il vote le front levé. Point de détail qui ne soit libre dans l’acte qu’il remplit, il n’y relève que de sa volonté, et en a la pleine conscience. Combien le paysan est loin de cette notion de son droit et de cette sécurité d’esprit! combien aussi les conditions où on le place sont différentes ! Aux formes près, les choses se passent comme naguère, c’est toujours un choix recommandé. S’il n’y a qu’un nom sur les rangs, c’est une dérision; s’il y en a plusieurs, c’est une grosse affaire. Pour le paysan, l’opération commence et finit dans la commune (soixante ou quatre-vingts feux), et dans la commune on n’a ni journaux, ni affiches, ni circulaires, ni réunions préparatoires, rien en un mot de ce qui surabonde dans les villes. Où se renseigner? Dans les chaumières voisines, le dossier se borne également au bulletin de vote et aux commentaires envoyés du chef-lieu. Ce bulletin est le seul qui se montre à découvert, les bulletins opposans circulent dans l’ombre; il faut une certaine force d’âme pour y toucher, une plus grande