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zarre qu’a remarqué M. A. Tardieu, c’est que les animaux tués de la sorte tombent toujours sur le côté droit.

Une autre solanée célèbre est la mandragore, dont le nom a une étymologie fort incertaine. Selon les uns, il vient de Mandra, nom d’une divinité d’Asie; suivant les autres, il est composé de deux mots, mandra, clôture, cercle, et guroo, environner, par allusion à l’habitude que l’on avait d’entourer la mandragore d’un cercle magique avant de l’arracher du sol. Quelques auteurs ont identifié cette plante avec les dudaïm de la Genèse, ce mystérieux aphrodisiaque que Rachel voulait à tout prix, et qu’elle finit par obtenir de sa sœur Lia moyennant les plus étranges conditions[1]. Le genre mandragore renferme des végétaux herbacés, vivaces et remarquables par leurs grosses racines coniques, qui, souvent bifurquées, ressemblent alors grossièrement aux deux jambes d’un homme. Cela explique les anciens noms d’anthropomorphon et de semi-homo donnés à cette plante. On en distingue deux espèces : la mandragore officinale, vulgairement mandragore femelle, à racine noirâtre, à feuilles glauques, à corolles violettes portées par une longue hampe rougeâtre à raies jaunes, et la mandragore printanière ou mandragore mâle, dont les racines sont plus grosses, les feuilles plus claires, mais ridées, crépues., comme boursouflées et exhalant une odeur très désagréable; les fleurs sont blanchâtres ou verdâtres, parfois lavées de teintes jaunes. Ces deux espèces sont communes dans les régions méditerranéennes, en Calabre, en Sicile, en Espagne, en Afrique et dans les îles grecques. Elles affectionnent les lieux ombragés, les roches solitaires et l’entrée des cavernes.

Peu de plantes ont servi de thème à autant de légendes et de contes que la mandragore. Outre qu’elle entrait dans la composition de tous les philtres, les sorciers l’employaient souvent pour donner à leurs victimes des hallucinations de toute sorte. Ils ne se servaient des racines de la mandragore qu’après les avoir taillées en grossières figures d’homme, et faisaient accroire au vulgaire que c’était sous cette forme qu’on les trouvait au pied des gibets, où elles naissaient du sang des suppliciés. Cette lugubre cueillette passait du reste pour être entourée de dangers. Théophraste et Pline mentionnent tout au long les pratiques ridicules auxquelles il fallait se livrer à cette occasion. Bouchez-vous les oreilles, disent-ils, pour n’être pas attendri par les cris déchirans que pousse la mandragore lorsqu’on veut l’enlever du sol; puis de la pointe d’une épée en-

  1. D’autres pensent que les dudaïm étaient composés de diverses espèces d’orchis d’où se tire le salep d’Orient.