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tachées par la conscience persistante de l’individualité, les deux parties de son corps s’en allaient et montaient flottantes dans l’espace. On connaît aussi des cas fort curieux d’empoisonnement par la même plante où les malades ont des visions toutes de rayons et de flammes sur lesquelles se détachent comme en pluie d’or des facules étincelantes, phénomène bizarre, auquel le nom assez spirituel de berlue danaé fut donné par le médecin Sauvages, qui le premier eut l’occasion d’en étudier les symptômes.

Le genre nicotiane, tel qu’il est aujourd’hui constitué, renferme une quarantaine d’espèces originaires soit de l’Asie, soit plus particulièrement de l’Amérique, et parmi lesquelles se place au premier rang le tabac (Nicotiana tabacum). C’est une grande et belle plante, dont le port fier et les gracieuses panicules florales pourraient fournir un argument aux défenseurs des solanées, n’étaient la couleur malsaine de ses grandes feuilles molles, certain petit duvet très court, mais désagréablement glutineux, qui recouvre toute la plante, et enfin cette odeur nauséabonde et caractéristique qui émane des solanées vireuses. D’un calice tubuleux et visqueux s’élève une grande corolle à base verdâtre qui se renfle, et dont le limbe d’un rose carminé s’étale en cinq lobes élargis d’une incontestable élégance. Nous ne nous arrêterons pas à la description des variétés fort nombreuses obtenues par la culture; contentons-nous de citer en passant la nicotiane rustique, vulgairement connue sous le nom de tabac femelle, répandue dans toutes les parties du monde, et cultivée dans le midi de la France. Elle est plus petite que l’espèce précédente, dont elle se distingue par ses corolles d’un vert jaunâtre. D’autres espèces sont devenues des plantes d’ornement, et parmi elles il en est une que rend tout à fait remarquable sa fleur d’un blanc pur, qui exhale une suave odeur de jasmin.

Ce n’est guère que vers le milieu du XVIe siècle qu’a eu lieu l’introduction du tabac en Europe[1]. C’est une fort singulière histoire que celle de cette solanée, dont le nom spécifique manque encore d’une étymologie certaine. Le mot tabac dériverait-il de Tabago, nom de l’une des petites Antilles où les Espagnols trouvèrent cette plante, ou plutôt de ces tabacos, ou petits tuyaux que les compagnons de Colomb virent pour la première fois dans les mains des naturels de l’île San-Salvador, et au moyen desquels ceux-ci aspiraient la fumée d’une plante qu’ils brûlaient sur des charbons ardens ? Ce qu’il y a de certain, c’est que l’usage du tabac était déjà fort enraciné parmi les indigènes du Nouveau-Monde, et que les successeurs de Christophe Colomb remarquèrent avec étonnement tout à la fois

  1. Voyez l’étude de M. Maxime Du Camp dans la Revue du 1er août 1868.