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comme celui de la tomate ou de la pomme de terre, et tantôt capsulaire, c’est-à-dire sec comme ceux du tabac et du datura. C’est ainsi qu’ont été formées deux grandes sections générales, subdivisées en six tribus, parmi lesquelles nous choisirons, pour en résumer rapidement l’histoire, les genres les plus importans.

La belladone, Atropa belladona, dont le nom générique a été tiré par Linné de celui de la Parque Atropos, doit son nom spécifique de « belle dame » à la réputation que les lotions composées avec cette herbe avaient en Italie de conserver le teint et la beauté. La belladone est une grande plante herbacée, haute d’un mètre et plus, à tige velue, et d’un vert légèrement rougeâtre. Ses feuilles, dont une fine pubescence ne suffit pas à déguiser la teinte de mauvais augure, sont ovales, molles, sillonnées d’un pâle réseau de nervures, et exhalent sous le doigt qui les écrase une odeur nauséabonde des plus caractéristiques. D’un calice velu, solitaire et pendant à l’aisselle des, feuilles sort une corolle allongée qui, d’une couleur brune et ferrugineuse ou jaune livide à la base, s’irise vers le sommet de vilains tons violacés. À ces fleurs succèdent en juillet des baies luisantes qui noircissent en mûrissant, et ressemblent alors à des cerises. Cette solanée, assez commune en France, croît dans les bois et plus souvent encore dans les terrains incultes qui environnent les habitations. On la voit près des villages se cacher dans l’angle des vieux murs, hanter les masures désertes, dresser ses hautes tiges sur les décombres qui s’amoncellent aux lieux vagues. C’est là que viennent trop souvent la chercher les enfans vagabonds, qui, séduits par l’aspect et le goût douceâtre des fausses cerises, meurent victimes de leur curiosité. On cite de nombreux accidens de ce genre. Ici, c’est un berger qui veut se désaltérer en suçant des baies de belladone et qui expire quelques heures après dans d’horribles convulsions. Ailleurs, de quatre bûcherons, deux sont saisis d’une démence furieuse, tandis que les deux autres ne tardent pas à succomber. En 1793, quatorze enfans orphelins confiés à l’hospice de la Pitié sont employés un jour au Jardin des Plantes à sarcler les mauvaises herbes; ils mangent des fruits de belladone dans le carré des plantes médicinales, et meurent tous en quelques heures. Cent cinquante soldats appartenant à un détachement français s’empoisonnèrent ainsi à Pirna, près de Dresde. Les effets furent très divers; tandis que les uns tombaient comme foudroyés, d’autres se traînaient à quelque distance et expiraient dans les broussailles, ou bien, en proie au plus effrayant délire, s’enfuyaient dans les bois. On les voyait revenir de temps à autre dans un état d’extrême surexcitation ; leurs membres étaient agités par un tremblement convulsif. Quelques-uns poussaient des cris confus, d’autres étaient