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âge étaient des objets d’épouvante. On les nommait alors herbes du diable ; les bonnes femmes se signaient et passaient vite sans retourner la tête lorsqu’elles en rencontraient une au milieu des décombres. La médecine légale n’a que trop justifié le sentiment populaire, elle a rangé la plupart des solanées parmi les poisons narcotico-âcres. Toute cette famille végétale, sans excepter même l’honnête pomme de terre et l’innocente tomate, se révèle d’ailleurs à première vue par je ne sais quelle mine équivoque. Sans doute il en est d’élégantes : le nicandre des parterres, le tabac, les daturas exotiques, ne manquent certes ni de prestance ni de beauté ; mais les plus belles d’entre ces plantes étranges font penser à la mine hautaine et aux fières allures de certains personnages dont il est prudent d’examiner rigoureusement les papiers. Que dire de nos solanées indigènes ou naturalisées, de nos belladones, de nos jusquiames, de nos daturas, de ces innombrables morelles, qui dans tous les lieux vagues étalent leurs feuilles, leurs fleurs et leurs fruits, de ces pétunias multiflores que l’on s’ingénie à vouloir transformer en plantes d’ornement? Ce n’est pas seulement le triste aspect du feuillage, les allures et le port plus ou moins gauches des solanées qui prédisposent à se défier d’elles, c’est encore l’odeur ordinairement vireuse qu’elles exhalent, et surtout les couleurs dont elles se parent. Les feuilles sont généralement d’un vert sombre, et les fleurs ne sortent guère de leurs tons violacés habituels que pour nous offrir des roux malsains ou de vilains blancs jaunâtres, parfois rayés de lignes d’un noir sanguinolent. La physionomie générale de ces végétaux malsains justifie pleinement les dénominations peu flatteuses que les solanées ont reçues depuis Linné, qui tout d’abord les appela les livides, jusqu’aux botanistes modernes, qui les stigmatisent des noms de suspectes, de vénéneuses et même de hideuses. Il faut dire que de temps à autre des protestations se sont élevées; quelques auteurs, peu nombreux à la vérité (Dunal, Pouchet, Michelet), se sont constitués les défenseurs des solanées en faisant valoir les services rendus par certains genres de cette famille, et en rappelant le parti que la science médicale tire des sucs vénéneux de quelques autres qui lui fournissent des remèdes héroïques; ce ne sont là que des circonstances atténuantes[1]. Les principes vénéneux peuvent faire absolument défaut dans quelques solanées, ou ne s’y présenter qu’en proportions trop faibles pour influer d’une manière sensible sur l’économie animale; mais, toutes les fois qu’ils sont

  1. Il est bon d’ajouter que, par suite d’une erreur de classification rectifiée depuis, mais qui était bien faite pour attendrir les défenseurs des solanées, on faisait entre; dans cette famille le genre des molènes, qui se font remarquer par leur honnête physionomie et la douceur émolliente de leurs sucs.