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musée d’Anvers. Quel charmant tableau! Le peintre a fait pour ainsi dire porter à la nature la livrée de la Vierge, car il a mis les couleurs de sa peinture en exacte harmonie avec les années de son personnage : rien que rose, lilas, bleu clair, vert tendre, nuances de printemps naissant, couleurs de jeune fille.

Je n’ai pas la prétention en quelques notes rapides d’épuiser tous les caractères de ce grand artiste, éternel honneur de la Flandre. Je n’ai rien dit et je ne dirai rien de sa magnificence, ni de son aptitude extraordinaire à saisir les phénomènes les plus accidentels de la beauté en quelque endroit qu’ils apparaissent, merveilleuse habileté de l’œil que j’ai cru pouvoir ici même, il y a bien des années, appeler le chic élevé à la hauteur du génie[1]. Tous ces caractères sont bien connus, et nul d’ailleurs ne songe à les contester. Ces qualités ne sont qu’une partie de Rubens, la plus matérielle, la moins noble. Là n’est point son véritable génie, et j’ai voulu montrer que cette prodigieuse habileté matérielle fut doublée d’une intelligence égale aux plus hautes pensées, que le grand peintre fut doublé d’un grand poète dramatique. Puissance pathétique et profondeur religieuse, voilà le vrai Rubens et non pas le matérialiste habile que le jugement de la routine recommande à notre admiration modérée. Que la Flandre reconnaissante lui élève une statue colossale comme son œuvre, où il sera représenté couronné par une autre muse que celle de son art, et sur le socle de laquelle on lira cette inscription : « A Pierre-Paul Rubens, qui fut la puissante synthèse des traditions de l’art flamand et l’expression souveraine de la religion du peuple des Flandres, la muse du drame décerne cette couronne comme à l’un de ses plus glorieux fils. »


EMILE MONTEGUT.

  1. Article sur l’illustration de l’Enfer de Dante, par M. Gustave Doré; voyez la Revue du 15 novembre 1861.