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Aix-la-Chapelle, mais les seuls que j’y aie rencontrés étaient de nature toute contemporaine. Après avoir visité l’hôtel de ville, ce mammouth des édifices municipaux, et son étroit escalier de pierre en colimaçon par où sont montés tant de césars du saint-empire, je me fis conduire au sommet de la Louisberg, non par amour pour la nature, mais par une sorte de curiosité archéologique, afin de découvrir une partie de ce pays de Juliers qui a servi de prétexte pour faire couler tant de sang. Je ne perdis pas mon voyage. Quel charmant édifice on rencontre à mi-route, bâti en briques rouges, d’une architecture élégante et modeste à la fois, précédé d’un grand parterre tout en fleurs ! C’est l’hôpital de Sainte-Marie, Saint-Maria Hof, le plus beau que j’aie encore vu, et certainement un des plus dans lieux de misère qui existent! La vue de cet édifice plaida subitement dans mon esprit en faveur du présent contre ce passé que j’étais venu chercher d’abord. L’esprit de notre siècle, pensai-je, parle pourtant par ce monument, il dit que lui aussi a droit à quelque respect. Plus heureux certes sont les malades qui souffrent et meurent bien chaudement entre ces jolies murailles que ceux qui souffraient et mouraient dans des tanières qu’auraient désertées les bêtes ! Plus heureux les convalescens qui viennent ressaisir la santé dans les allées de ce parterre que ceux qui allaient la demander au soleil des grandes routes! Ainsi j’étais venu dans l’espérance que la ville carlovingienne me parlerait de son grandiose passé, et je rencontrais le génie du présent qui me riait au nez, me rappelant son esprit d’humanité et la douceur relative de ses mœurs. Aimable et instructive mystification après tout, et qui me permit de m’éloigner d’Aix-la-Chapelle en répétant ces paroles du poète qu’elle avait littéralement réalisées :

Sæpe, premente deo, fert deus alter opem.

Le pouvoir d’évocation que je n’avais pas trouvé à Aix-la-Chapelle m’a manqué plus d’une fois dans mon excursion en Flandre et en Hollande, et cela aux lieux où j’aurais souvent cru qu’il me viendrait le plus facilement en aide; mais il est trois endroits au moins où le passé se dresse à vos côtés aussi vivant que s’il était encore le présent, et, chose curieuse, ces trois endroits sont trois places, la place de l’hôtel de ville à Bruxelles, le grand marché du vendredi à Gand, et la superbe place qui sépare l’hôtel de ville de la grande église de Delft. Partout les édifices m’ont donné la sensation de tombes renfermant une poussière illustre ou de logis déserts dont le maître est absent sans esprit de retour; mais là, dans ces trois espaces ouverts, il semble que la vie du passé qui