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grandes causes que tout le monde a dénoncées dans l’enquête, le ralentissement survenu depuis vingt ans dans le progrès de la population nationale et l’émigration des ouvriers ruraux. Avant 1848, la population nationale montait de 200,000 âmes en moyenne par an; depuis 1848, elle ne s’est plus accrue que de 100,000. La différence en vingt ans est de 2 millions d’existences. A en croire le rapport, ce déficit tient surtout à la diminution du nombre des enfans dans les familles. Cette opinion, généralement répandue, n’est pas tout à fait exacte. Il y a eu en effet une diminution dans les naissances depuis vingt ans, mais trop faible pour avoir une influence prépondérante sur le déclin de la population. Le véritable fléau a été l’augmentation de la mortalité, et le surcroît de décès, comme la réduction des naissances, provient de la cause que le commissaire-général place au quatrième rang et qui doit être mise au premier, le service militaire.

Avant 1848, les naissances s’élevaient en moyenne à 980,000 par an et les décès à 800,000; depuis 1848, les naissances n’ont plus été que de 960,000 par an, et les décès ont monté à 860,000; on voit que la différence porte principalement sur les décès. La mortalité est devenue effrayante dans les années de guerre. Pendant la campagne d’Orient, en 1854 et 1855, les décès ont dépassé les naissances, ce qui ne s’était jamais vu. En 1859, année de la campagne d’Italie, en 1865, commencement de l’expédition du Mexique, nouveau surcroît de mortalité. Même dans les années de paix, tant que nous tenons sur pied une armée trop nombreuse, la mortalité est plus forte qu’à l’ordinaire. La vie de caserne et de garnison est presque aussi meurtrière que la guerre elle-même. La France a ainsi perdu depuis quinze ans 500,000 hommes dans la force de l’âge, qui, sans la guerre, vivraient encore. Non-seulement ils manquent par eux-mêmes, mais ils ont emporté avec eux la postérité qu’ils auraient pu produire; c’est le plus pur du sang national qui s’est écoulé. De tout temps, la progression de la population a suivi en sens inverse la force du contingent militaire. Sous la restauration, quand le contingent annuel n’était que de 40,000 hommes, la population marchait rapidement. Quand le contingent a été porté à 60,000, le progrès s’est ralenti; à 80,000, il s’est ralenti plus encore; à 100,000, il a été presque nul, et dans les deux années où le contingent a été porté à l4O,000, la population a reculé. Il n’y a eu qu’un cri à ce sujet dans l’enquête; la France ne peut pas absolument supporter une levée annuelle de 100,000 hommes.

Cette saignée épuise surtout la population rurale, qui n’est pas assez riche pour se racheter. Les trois quarts au moins des hommes morts au service appartenaient aux campagnes, et les trois quarts