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d’emprunter à un taux supérieur au taux général. L’agriculture ne doit demander aucun privilège, mais elle peut réclamer l’égalité en tout; le droit commun lui suffit.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les lois économiques qui régissent la circulation fiduciaire; cette matière obscure et délicate a formé l’objet d’une enquête spéciale. Les agriculteurs connaissent peu cet ordre de questions, et ils en ont peu parlé. Ils voient seulement ce qui leur manque. Même en conservant à la Banque de France son monopole, on peut exiger d’elle qu’elle multiplie ses succursales. On a demandé dans l’enquête qu’elle ait un comptoir par arrondissement; elle en est bien loin, car elle n’en a même pas un par département : trente départemens sont encore en dehors de ses opérations. On a cité à ce sujet l’exemple des banques d’Ecosse. « Ces banques, dit le rapport du commissaire-général, couvrent de leurs succursales, de leurs branches, c’est le mot anglais, tout le pays; ces branches, qui étaient en 1819 au nombre de 96 seulement, atteignent en 1864 le chiffre imposant de 591. On voit que, pour une population de 3 millions 1/2 d’habitans environ, c’est à peu près une caisse de banque par 5,000 âmes, et par conséquent chacune d’elles est fort rapprochée partout des intérêts qu’elle doit satisfaire. » M. Monny de Mornay cite en outre l’exemple de l’île de Jersey, où, pour une population de 60,000 habitans, se trouvent 73 banques qui émettent de 2 à 3 millions de billets et donnent l’impulsion à un immense mouvement d’affaires où l’agriculture a sa large part. Ces exemples sont en opposition avec nos habitudes; quand ils seront suffisamment dégagés de tout alliage avec les idées chimériques, on ne pourra plus les écarter par des fins de non-recevoir. C’est déjà un excellent symptôme de les voir mentionner dans des documens officiels.

En attendant, on a demandé quelques modifications à la législation pour faciliter le crédit agricole, en rendant le gage du créancier plus saisissable. Ces changemens auront bien peu d’efficacité tant que les grandes questions ne seront pas résolues ; mais on peut les accepter comme d’utiles accessoires. Dans l’état actuel, le cultivateur qui a entre les mains un matériel agricole considérable, représentant souvent une valeur très importante, ne peut affecter cette valeur à la garantie des engagemens qu’il contracte; il ne peut pas les donner en nantissement. En effet, l’article 2076 du code civil porte que le privilège ne subsiste qu’autant que le gage est resté en la possession du créancier ou d’un tiers convenu entre les parties. L’exécution de cette disposition est absolument impossible quand il s’agit d’instrumens aratoires indispensables à la culture, de bestiaux nécessaires à l’exploitation; elle est plus praticable, mais toujours difficile, lorsqu’il s’agit des produits récoltés. Ce sujet