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M. de Beust, arrivé au pouvoir, comprit qu’il fallait accepter sans discuter le programme de Deák, et c’est des mains du juriste hongrois que l’empire-royaume reçut l’organisation constitutionnelle qui y est maintenant en vigueur. Quand on étudie cette organisation, on ne peut se défendre d’admirer la prévoyance, la vigueur d’esprit, le génie politique qu’il a fallu pour construire un mécanisme qui répondit aussi bien aux nécessités diverses et souvent contradictoires de la situation; seulement, je l’ai dit et je le crois encore, ce mécanisme est trop compliqué pour bien marcher en temps de crise[1]. C’est en dehors des délégations et d’homme à homme que M. de Beust a réglé les affaires avec le ministère hongrois, et quand il s’est agi de réorganiser l’armée, le ministre de la guerre « commun » n’a pas hésité à se rendre à Pesth pour défendre ses idées. Qu’un dissentiment sérieux se produise, que l’opposition triomphe en Hongrie, et il faudra arriver à des combinaisons plus simples et moins sujettes à se déranger. Dans son adresse de 1861, Deák a dit que le lien qui unissait le royaume à l’empire était l’union personnelle. Libre de choisir, c’est la forme qu’il eût sans doute adoptée. Il est probable qu’on y reviendra. Celle qui existe maintenant n’est que le dualisme en voie d’éclosion, im werden ; à l’état parfait, le dualisme, c’est l’union personnelle.

C’est dans les débats d’où sortit l’Ausgleich qu’on peut admirer la vigueur de logique et l’extrême bon sens de Deák. En défendant son projet contre ses adversaires Tisza et Ghyczy, il ne dissimule pas les imperfections de son œuvre; tout ce qu’il veut prouver, c’est que dans la situation que les circonstances ont faite, il faut bien l’accepter. Ici encore il se montre fidèle à sa maxime favorite : ne céder à aucun prix sur le fond même du droit, mais transiger sur les détails d’exécution. Par l’adoption de l’Ausgleich, il était arrivé au but qu’il avait toujours poursuivi. La Hongrie avait reconquis ses libertés, son autonomie était respectée. La continuité du droit ne recevait aucune atteinte, et d’autre part les états héréditaires étaient dotés d’un régime constitutionnel, garantie indispensable du respect de la constitution hongroise. Il est certain qu’en 1867 c’est l’accord de M. de Beust et de Deák qui a sauvé l’Autriche d’une dissolution imminente.

On a voulu comparer Deák à Monk, qui, lui aussi, a restauré une dynastie; mais rien ne justifie ce parallèle, ni la nature de l’entreprise, ni les moyens employés pour la faire réussir. Monk a conspiré et conspiré contre la liberté au profit d’un régime si détestable, qu’il a fallu une seconde révolution pour en débarrasser

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1868.