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parut pas au déjeuner pris en commun. On le vit arriver enfin lors- que, les deux servantes parties pour se rendre à leur ouvrage, le meunier fut demeuré seul avec sa femme et sa fille. Au premier mot de reproche, le rude garçon se cabra. — Notre maître, dit-il en sortant de sa poche un couteau dont il ficha la pointe dans le bois de la porte au-dessus de la clanche pour empêcher qu’on ne pût ouvrir du dehors, vous devez savoir que je ne suis pas un vagabond. Seulement, voyez-vous, quand les oies sauvages sont en l’air, ce n’est pas la saison de semer des pois, et quand il y a des femelles autour de nous, ce n’est pas le moment de se dire des secrets. J’ai donc attendu que les servantes fussent hors d’ici pour vous apporter, non pas le renard lui-même, mais sa pochette.

En achevant ce préambule et par manière de justification, Friedrich avait jeté sur la table une sacoche de cuir qui paraissait assez bien garnie. — Qu’est cela? demanda le meunier, qui s’en saisit aussitôt et se mit avec un empressement fébrile à déboucler les courroies.

— Voyez vous-même, repartit Friedrich. La chose ne me regarde plus. J’ai pris là dedans ce qui me revenait.

De la valise secouée vivement tomba sur la table un paquet ficelé, puis un certain nombre de pièces d’argent, parmi lesquelles, de temps à autre, quelques monnaies d’or fauves et rutilantes, enfin un petit écrin qu’ouvrit la meunière, et où, comme autant de serpens sous des fleurs vivement colorées, des chaînes d’or se déroulaient autour de maint et maint joyau. — Dieu nous ait en grâce ! s’écria la bonne femme, qui dans son premier éblouissement laissa retomber la boîte.

Fieka, jusqu’alors immobile et qui debout, les mains pressées contre sa poitrine, regardait ces trésors tout à coup étalés à ses yeux, se pencha brusquement sur la table comme pour en dérober la vue à ceux qu’ils pouvaient tenter, et les deux mains étendues : — Rien n’est à vous, s’écria-t-elle. Tout ceci est au Français.

En relevant la tête et en regardant son père, elle vit sur sa physionomie une expression qui lui alla droit au cœur, comme la lame aiguë d’un poignard. Ce fut un moment d’inexprimable angoisse. Le meunier, indécis, hésitant, se consultant d’abord, finit par s’élancer vers la table, qu’il renversa presque. — Je ne sais rien, moi, disait-il. Je n’ai rien fait à ce Français. S’il est resté dans le bois, est-ce ma faute? Friedrich seul pourrait nous dire...

— Friedrich! répéta Fieka, s’élançant à son tour vers le garçon meunier, et oubliant les richesses étalées sur la table, où est le Français?... qu’as-tu fait de cet homme?

L’autre, impassible, la regardait. — Nous voilà donc en cour de justice, dit-il enfin, pesant sur chaque mot. Oh! Fieka, Fieka!