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cès-verbal une protestation solennelle déclarant qu’elle ne cédait qu’à la force. Pendant cette bataille parlementaire de cinq mois, Deák, comme le commandant d’une place assiégée, n’avait pas quitté un instant la brèche attaquée par l’ennemi. La patrie s’était personnifiée en lui. Elle lui avait donné plein pouvoir. Il parlait et négociait en son nom, ou plutôt Deák, c’était la Hongrie.

Il paraît que le jour même de la dissolution de la diète il reprit sa manière de vivre habituelle, et qu’il alla avec quelques amis jouer aux quilles dans un cabaret de campagne des environs de Bude. On lui en a fait un reproche. Comment pouvait-il se livrer ainsi à de vulgaires distractions au moment où il avait donné le signal d’une lutte décisive entre son pays et l’Autriche? Comment expliquer tant d’indifférence en présence de si graves événemens? Deák, a-t-on répondu, était rentré dans la vie privée. A aucun prix, il ne voulait prendre la pose d’un martyr : il était d’ailleurs heureux du résultat de la session. Il était sûr de la victoire. Il avait donné à son pays un programme raisonnable qui avait été adopté à l’unanimité par tous les partis. Cette unanimité rendait toute révolution inutile, car elle assurait le triomphe de la résistance légale. Quand une nation tout entière est décidée à ne rien abandonner de ses droits, la compression, eût-elle à ses ordres une armée de gendarmes, n’en viendra pas à bout à moins de l’exterminer. Il savait que l’Autriche serait bientôt réduite à céder et que l’indépendance de la Hongrie triompherait. C’est pour cela que le soir du 21 août 1861 Deák buvait gaîment de l’ofener, et jouait aux quilles sous les tonnelles de la Schöne Schäferin.

Au mois de septembre, les assemblées locales de toutes les villes et de tous les comitats furent dissoutes. Des commissaires royaux reprirent le direction de l’administration. Le régime autocratique était rétabli comme au temps de Bach. En même temps, pour isoler les Hongrois, on exaltait le sentiment national en Croatie et en Transylvanie; on obtenait que des députés seraient envoyés à Vienne par les Roumains et les Saxons, en faveur de qui on avait abaissé le cens électoral, a Nous pouvons attendre, » avait dit fièrement M. de Schmerling, comptant que la Hongrie se lasserait de sa résistance. Il se faisait illusion sur la situation de l’Autriche. Menacée au sud par l’Italie, qui revendiquait Venise, au nord par la Prusse, qui aspirait à conquérir la prééminence en Allemagne, c’était une singulière imprudence de conserver sur ses flancs une Hongrie profondément ulcérée, que la main de Deák arrêtait seule sur le seuil d’une insurrection armée. Au printemps de 1865, l’empereur vit enfin le danger. C’est encore à Deák qu’on s’adressa par l’intermédiaire des magnats du parti conservateur, George Mayláth