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longtemps, « deux métaux tels que l’or et l’argent ne peuvent servir au même moment et dans le même pays de mesure pour les échanges, parce qu’il faut que cette mesure soit toujours la même et reste dans la même proportion de valeur. Prendre pour mesure de la valeur commerciale des matières qui n’ont pas entre elles un rapport fixe et invariable, c’est comme si l’on choisissait comme mesure de la longueur un objet qui fût sujet à s’allonger ou à se rétrécir. Il faut donc qu’il n’y ait dans chaque pays qu’un seul métal qui soit la monnaie de compte, le gage des conventions et la mesure des valeurs. » On répondra d’abord qu’il n’y a pas d’étalon, à proprement parler, dans le sens absolu du mot, tel que paraît l’entendre Locke, car il n’y a aucun métal qui, comme le mètre, soit invariable et puisse toujours donner la mesure exacte de la valeur. Qu’on ait l’argent ou qu’on ait l’or, on est exposé à des variations, cela est possible; mais, si on a les deux, les chances sont doubles, et elles s’accroissent, ainsi que je crois l’avoir démontré, en raison même de la concurrence des deux métaux servant au même usage. On répondra ensuite, en ce qui nous concerne, que nous avons le double étalon depuis environ soixante-dix ans, et qu’il n’a dans la pratique amené aucun inconvénient, qu’il n’a pas empêché les progrès de s’accomplir, ni même l’or de se substituer à l’argent lorsqu’on l’a jugé utile. Cela est possible encore; mais de ce qu’il n’a pas eu d’inconvénient dans le passé, il ne s’ensuit pas qu’il n’en aura jamais dans l’avenir. Les situations changent, et ce qui était bon hier ne le sera plus demain. Autrefois les relations commerciales étaient peu-étendues, il fallait moins de numéraire pour y faire face, — le métal d’argent suffisait, — il suffisait de même pour ce qu’on appelle la monnaie de poche. Si nous étions obligés aujourd’hui de porter en argent ce que nous croyons utile à nos besoins de chaque jour, nous en serions fort incommodés, et chacun s’en plaindrait. La monnaie d’or est la monnaie des pays commerçans et des pays riches, parce que c’est celle qui, ayant le plus de valeur sous le moindre volume, s’accommode le mieux à la multiplicité et à l’importance des transactions. Si jamais l’allégorie mythologique des trois âges de l’humanité, l’âge de fer, l’âge d’argent et l’âge d’or, a eu une application précise, c’est à propos du signe monétaire : il était en fer ou en bronze à l’origine des sociétés, lorsqu’il y avait peu d’échanges; il a été en argent alors que les relations se sont développées; enfin aujourd’hui, avec l’extension qu’elles ont prise, il le faut en or. C’est ce qui fait que la découverte des mines de la Californie et de l’Australie a été vraiment un acte providentiel, parce qu’elle a fourni l’instrument d’échange le plus utile au progrès, et au moment même où l’on allait en avoir