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LE MAIRE DE SAINTE-CROIX AU COMTE DE X.

Je perds la tête au milieu de cette catastrophe. Je crains, monsieur le comte, que ces embouchures trop étroites, qui ont augmenté singulièrement les difficultés d’exécution et causé le charivari que vous savez, n’aient sourdement aigri les esprits. Tout le monde a fait son devoir; mais le malheur est irréparable.


LA COMTESSE DE X... A l’ABBÉ LEROUX.


Mon cher abbé,

Je ne saurais vous dire combien j’ai été peinée en apprenant les épreuves successives par lesquelles monseigneur vient de passer. Durant ces cruelles angoisses, nous avons été avec vous par l’esprit et par le cœur; nous avons partagé vos inquiétudes et nous avons participé aussi à votre joie lorsque le danger a été conjuré. Dieu soit béni !

J’ai eu de plusieurs côtés des détails précis sur la santé de monseigneur; mais c’est hier seulement que vos lettres si touchantes à tous égards me furent communiquées. Que n’ai-je été consultée, mon cher abbé, que n’êtes-vous venu me demander alliance défensive? Voilà un bien grand mot, n’est-ce pas? mais je n’en trouve pas d’autre. Voyons, entre nous, cette alliance-là ne vous compromettait guère, et, croyez-moi, elle en valait une autre. Les femmes, vous le savez, sont pour les choses délicates du cœur particulièrement bien douées; la Providence les console par là de mille petites misères. Je vous aurais compris, mon cher abbé, je vous aurais aidé, j’aurais agi, j’aurais discuté, — nous autres, gens faibles, nous avons notre éloquence, — j’aurais gagné notre procès, et je vous aurais évité, pauvre cher exproprié, tous ces chagrins dont je ne vois que trop clairement la trace dans vos touchantes lettres; mais pourquoi désespérer? Voyons, nous avons perdu en première instance; rien de plus. Faut-il en vérité qu’un marché conclu au milieu du trouble et de l’inquiétude causés par la maladie de monseigneur pèse à tout jamais sur vous ? Faut-il d’un trait de plume briser un doux avenir, effacer tout un passé, renoncer à ces chers ombrages, à la demeure au toit rougeâtre, toute pleine encore de tendres souvenirs que mon cœur de femme devine et bénit, et le petit verger si frais et si fertile sous ses grands pommiers, et la fontaine à l’eau murmurante, et toutes ces choses dont vous peignez si simplement et si éloquemment le charme !

Non, non, cela ne sera pas, non assurément; je ne peux pas, je ne veux pas l’admettre. Fiez-vous à moi, et ce vilain rêve sera ef-