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sion, la dénudation; d’où cette conclusion forcée que les plus hautes Alpes, par exemple le Mont-Blanc, ont déjà perdu une partie de leur hauteur, probablement la moitié.

Grâce à ces mêmes êtres inférieurs, on sait aussi qu’au commencement les Alpes formaient un épais massif qui n’était encore partagé par aucune vallée profonde. Il y avait des îlots soulevés, mais dans ces îlots point de gorges ni de découpures intérieures; c’étaient des blocs continus où ne serpentait aucun des défilés qui forment aujourd’hui le dessin et les contours de ces torses de géans. Comment a-t-on pu retrouver l’époque où ce dessin manquait encore à l’ossature des Alpes? En observant que les coquilles de l’époque tertiaire n’ont pas pénétré dans l’intérieur du massif. C’est donc que les mers ne trouvaient pas alors d’issue pour s’insinuer entre les chaînes montagneuses.

Ainsi non-seulement on retrouve l’âge, la hauteur des sommets, mais encore ce qui semblait devoir échapper le plus à la curiosité de l’homme, la forme, le dessin, la sculpture des montagnes à chaque époque de leur passé. Et que font de plus les historiens les plus minutieux quand ils retrouvent les âges divers des langues, des arts, dans chaque civilisation et même dans chaque peuple? On a découvert que la forme générale d’une partie des Alpes est celle d’un gigantesque éventail. Où est la main qui a ployé et déployé cet éventail de pierre da Mont-Blanc au Mont-Rose, au Saint-Gothard, au Splugen? Je voudrais en entendre le dernier froissement.


III. — DÉCADENCE DES ALPES.

Le moment capital de cette histoire est celui où les montagnes émergées, grossies de la dépouille de chaque mer, carbonifère, triasique, liasique, jurassique, crétacée, nummulitique, s’élevant toujours, arrivées enfin à la région des neiges, se couvrirent pour la première fois de frimas éternels en sortant d’un climat tropical. La terre n’avait encore rien vu de semblable. Le froid, la neige, la glace, qu’était-ce que cela? Qu’était-ce que ce blanc manteau dont les Alpes avaient chargé leurs, épaules? Plus leurs têtes s’élevaient, plus elles entraient dans un monde nouveau où tout contredisait, déconcertait ce qui s’était montré dans les époques antérieures. Des sommets inaccessibles à la vie descendent des mers gelées; là où les glaciers se rencontrent, ils se superposent, s’échafaudent l’un sur l’autre. Premier moment de la décadence des Alpes.

Les pics commencèrent à s’user sous de perpétuelles tourmentes et sous des chasse-neiges. Partagées en blocs, leurs aiguilles roulent sur les nappes de glace, et celles-ci, par-dessus les lacs et les