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votre ombre, soutenez mes pensées nées à vos pieds. Vous les avez inspirées, elles sont votre œuvre. Protégez-les, vous qui protégez le brin d’herbe dans vos vallées.


II. — LE GRAND EXPLIQUÉ PAR LE PETIT.

Après avoir eu l’impression générale, je voulus considérer le détail, et par là je fus confirmé dans l’idée que les principaux efforts des naturalistes se concentrent sur des questions d’origine. Non-seulement ils rétablissaient des époques dans l’histoire des masses montagneuses; mais ils partageaient et subdivisaient à l’envi ces époques, ne laissant plus un moment de la durée sans lui rendre son caractère, sa forme, sa physionomie. Ainsi cet incommensurable passé où je ne voyais d’abord qu’un chaos pétrifié s’animait dans chacune de ses rides. J’assistais au développement de l’architecture d’un monde, et, pour reconstruire sous mes yeux ces édifices tant de fois écroulés, pour leur rendre leur figure étage par étage, quels étaient les moyens dont l’homme disposait? Ces moyens étaient méprisables en apparence; dans la réalité, ils étaient irrésistibles.

Ce ne sont pas en effet les grands êtres, puissans mammifères, quadrupèdes, vertébrés, qui par leurs ossuaires aident l’homme à se reconnaître au milieu des temps où il ne vivait pas encore. Les grands êtres n’ont, pour ainsi dire, rien à nous apprendre sur l’histoire de la terre, tant ils sont rares ou récens; ils en savent à peine plus que l’homme sur les époques anciennes. Ceux qui nous éclairent sur la formation des pics géans, ce ne sont pas les géans du monde organisé; ce sont au contraire les petits, les imperceptibles, les mollusques à coquilles, qui ont le secret des montagnes. Le mastodonte, le mammouth gigantesque, n’ont rien à nous dire sur les Alpes. Consultez plutôt celui qui rampe, celui que tous les autres méprisent et foulent du pied, l’huître, le pecten, et moins encore. S’il est un être imperceptible, tel que le foraminifère, qu’il se montre. Voilà celui qui possède le secret des monts orgueilleux. Interrogez-le. C’est lui, et lui seul, qui pourra vous apprendre la naissance, la formation, l’exhaussement des sommets, comment d’immenses voûtes ont surgi sur des piliers, comment ces arcades se sont écroulées, comment elles ont laissé subsister des murailles à pic, des aiguilles, des contre-forts, premier linéament des vallées. Il a été témoin de ces histoires, il en a été une portion, il y a joué son rôle.

Voilà pour la figure des montagnes; s’il s’agit de leur âge, qui nous le dira? Comment saurons-nous quel sommet a surgi le pre-