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inconvéniens d’une position difficile, qui avait tort, parce qu’il ne tenait pas assez de compte d’une susceptibilité légitime. Il portait la peine de ces circonstances douloureuses qui ont fait vivre quelques-uns de nos contemporains dans des jours où ils se sont trouvés placés entre le patriotisme strict, instinctif, qui suit le drapeau jusque dans ses aventures les plus extrêmes, jusque dans ses folies, et cet autre patriotisme plus réfléchi, plus large, où entre un sentiment général de justice avec l’amour de la liberté. M. Guizot s’est évidemment toujours ressenti de son origine dans ses idées sur la politique extérieure. Ce n’est pas qu’il ait été moins qu’un autre sensible à la grandeur de la France ; mais cette grandeur, il la comprenait autrement, en philosophe, en homme qui n’a jamais éprouvé certains frémissemens, qui a toujours été plus préoccupé d’éviter les grands risques que de poursuivre les grands succès, et qui après les décevantes conquêtes d’autrefois n’entrevoyait pour la France d’autre rôle, d’autre avenir qu’une paix tranquille et libre dans la limite des traités, à l’abri des dangereuses surexcitations de l’orgueil national.

Ce que je veux remarquer dans cette manière de comprendre la politique extérieure aussi bien que la politique intérieure, c’est cette pensée de résistance à la double logique d’une révolution née d’une réaction victorieuse de l’esprit national et de l’esprit libéral, c’est le danger de réduire le rôle de la France, — de la France de 1830, — à quelque chose qui ressemblait étrangement à de l’immobilité au dedans et au dehors, c’est enfin la disproportion entre une réalité assez modeste le plus souvent et l’éclat des maximes dont se recouvrait cette réalité. C’était une politique d’orateur encore plus que d’homme d’action. L’art de M. Guizot était de considérer tout comme des incidens et de mépriser les incidens en les subordonnant à ce qu’il appelait, dans un langage un peu solennel, « la bonne politique..., la grande politique. » Son idée fixe, c’était de maintenir la paix entre les élémens publics qui s’agitaient autour de lui, et, quand il avait maintenu la paix, de croire qu’il avait tout gagné; son malheur était de ne rien voir au-delà d’un cercle officiel et légal, et de se créer ainsi une atmosphère artificielle où il se faisait illusion à lui-même par ses succès de parole. M. Guizot se trompait. Tandis qu’il passait sa vie à mettre le pied sur des étincelles, les grands incendies se préparaient. Au moment où il se reposait sur une majorité législative incontestable, il voyait le pays lui échapper sans comprendre comment s’accomplissait ce mouvement. Il s’en faisait si peu l’idée que quelques mois à peine avant 1848, pressé sur une médiocre question de réforme électorale, et entendant un député s’écrier que le jour du suffrage universel viendrait, il prononçait ces étranges paroles : « Non, il n’y a pas de jour