Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyance et avec passion, il ne cessait d’être lui-même, et l’un des premiers il s’engageait dans la lutte avec la sérieuse ardeur d’une ambition entrant dans un grand rôle public et sentant sa force, avec cette idée fixe qu’on avait « un gouvernement à fonder, » que les chefs de la révolution avaient désormais à prouver qu’ils étaient « capables de manier le pouvoir et de maintenir l’ordre en développant la liberté. » Refaire une monarchie vraiment constitutionnelle avec un roi nouveau, au milieu des agitations intérieures et des méfiances de l’Europe, remettre la France en paix avec elle-même et avec les autres, c’était là l’œuvre à réaliser, telle que la concevait M. Guizot, telle qu’elle s’est accomplie en définitive, et c’est certainement le mérite de ce régime de 1830 de s’être fondé, de s’être défendu et d’avoir vécu pendant dix-huit ans sans coups d’état, sans violences dictatoriales, par la seule force de la discussion et de la loi. Ministre de l’intérieur dans le premier cabinet de la monarchie nouvelle, ministre de l’instruction publique aux heures des luttes les plus ardentes, entre 1832 et 1836, dans ces cabinets réduits à se mesurer avec les plus redoutables insurrections, à Paris ou à Lyon, ambassadeur de France à Londres dans un moment de crise extérieure, ministre des affaires étrangères et président du conseil dans le cabinet qui a duré le plus longtemps, du 29 octobre 1840 au 24 février 1848, orateur toujours engagé au plus fort des combats parlementaires, M. Guizot est assurément un des deux ou trois hommes qui représentent avec le plus d’éclat ce régime de dix-huit ans, qui lui ont imprimé leur caractère en le servant dans toutes les situations. Le roi Louis-Philippe a été sans doute le premier homme d’état de son règne; il l’était par l’expérience, par la raison, par l’habileté, et nul n’a mieux su maintenir à travers tout les directions essentielles de sa politique, comme aussi nul ne s’entendait mieux à se plier aux nécessités de son rôle constitutionnel. C’est le type du prince éclairé, entreprenant de guérir la France de la révolution et de la guerre par une sérieuse et honnête liberté. Au-dessous du roi, M. Guizot a été un des deux ou trois chefs de file des grandes batailles parlementaires, le champion éloquent, opiniâtre, invariable, d’un système complet tendant à la stabilité par la résistance, et bien plus que M. Royer-Collard, qui n’a été jamais qu’une grande influence morale, dont le nom appartient particulièrement d’ailleurs à la restauration, il a été après 1830 la personnification du doctrinaire au pouvoir, du doctrinaire parlant et agissant.

On pourrait dire que dans le passage de M. Guizot au pouvoir durant ces années de la monarchie de juillet il y a eu deux choses. Il y a eu ce que j’appellerai une œuvre morale. Comme ministre de l’instruction publique, dans sa sphère indépendante, M. Guizot