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agité; il s’en préoccupait non-seulement pour le pays, mais aussi pour lui-même, pour son « rôle futur » dans les événemens qui se préparaient. « J’en passais et repassais dans mon esprit toutes les chances, dit-il, les regardant toutes comme possibles, et voulant me tenir prêt à toutes, même à celles que je souhaitais le plus d’écarter... » Il arrivait ainsi à cette révolution avec sa popularité de professeur et son titre de député, avec les impatiences d’action qui l’agitaient et les craintes dont il ne pouvait se défendre.

Pour ceux qui acceptaient la guerre et étaient décidés à tout, même à répondre par un « coup d’état populaire » au « coup d’état de la royauté, » la situation était simple en effet; elle était plus complexe et plus difficile pour les royalistes constitutionnels qui, entraînés au combat comme les autres, se demandaient avec anxiété si en défendant les institutions ils n’allaient pas frapper à mort la royauté elle-même, et si un changement de dynastie n’allait pas jeter la France dans une aventure plus périlleuse. — « Et moi aussi, disait M. Royer-Collard quelques jours après 1830, je suis parmi les victorieux, triste parmi les victorieux! » Ils étaient tous du moins, M. Guizot comme M. Royer-Collard, des vainqueurs involontaires. Il y avait seulement une différence entre les deux : M. Guizot n’était pas aussi triste que M. Royer-Collard. Pour celui-ci, la révolution de 1830 marquait la fin d’une période morale et politique avec laquelle il s’était identifié; pour M. Guizot, c’était le commencement d’une époque où il entrait, selon son expression, « avec puissance » dans les affaires, et du premier coup l’ancien secrétaire-général de l’abbé de Montesquieu devenait le ministre de l’intérieur du premier cabinet de la monarchie nouvelle, chargé de régler la marche du convoi qui emportait la dynastie vaincue à Cherbourg.


III.

Une question singulière, que M. Guizot relève lui-même dans ses Mémoires, a survécu comme une mélancolique énigme à cette révolution de 1830, qui était la seconde étape du gouvernement constitutionnel. La France, forte de son droit, n’eût-elle pas mieux fait de s’arrêter à temps dans la lutte à laquelle elle était provoquée, de ne pas laisser une résistance légitime dégénérer en révolution, en un mot de donner elle-même l’énergique exemple du respect de la loi en forçant roi et ministres à la respecter sans aller plus loin? Autre alternative : le vieux roi, une fois vaincu et réduit à payer d’une abdication sa témérité, ne valait-il pas mieux accepter la royauté d’un enfant avec la régence d’un prince populaire qui avait le choix d’être le protecteur libéral d’une longue minorité ou le