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l’histoire des idées. Je dirai tout de suite ce qui pouvait être une faiblesse et ce qui a pu devenir une cause de méprise dans ces larges et substantielles analyses de tous les élémens de la société française. Sans s’égarer sur les données essentielles qu’il connaissait de première source, le professeur se laissait évidemment trop aller à son penchant pour les formules générales, il pliait trop quelquefois la réalité à des idées préconçues, il faisait trop concourir tous les faits du passé à une seule fin, le triomphe d’un certain système de gouvernement et d’institutions politiques par l’avènement définitif de la capacité, de l’intelligence, des classes moyennes. L’histoire de cette façon semblait n’avoir plus qu’un but vers lequel elle tendait à travers les siècles avec une invincible fixité, au-delà duquel elle devait s’arrêter ou se clore, et M. Guizot n’était pas seul à penser ainsi. M. Augustin Thierry, cet autre rénovateur des études historiques, avec les nuances particulières de son talent, avait au fond les mêmes idées, — si bien que ces hommes d’une si haute et si mâle intelligence se sont trouvés en quelque sorte pris au dépourvu lorsque d’autres événemens ont éclaté tout à coup devant eux, au moment où ils en étaient encore à croire qu’ils avaient sous les yeux « la voie tracée vers l’avenir…, la fin providentielle des siècles écoulés... » Qui ne se souvient de ce sentiment de trouble et de déception qu’exprime naïvement M. Augustin Thierry dans ses derniers travaux sur le tiers-état au lendemain de la révolution de 1848? Le jour où cette révolution s’était accomplie, toutes les perspectives de l’histoire s’étaient trouvées soudainement bouleversées aux yeux de cet homme éminent. C’était le pli de l’idée fixe et préconçue qui remplissait aussi les savantes leçons de M. Guizot; mais à part ce qu’il pouvait y avoir d’un peu artificiel dans cette conception encore plus politique qu’historique, nul assurément n’a décrit avec plus de sûreté et de force la marche et les élémens de la civilisation française. Nul n’a représenté avec plus d’élévation, avec une sagacité plus profonde et une plus libre impartialité les faits généraux du passé, le rôle des classes, le travail permanent des idées à travers la mobilité des choses.

Cet enseignement avait le souverain mérite d’être nouveau et excitant, de laisser dans les esprits des impressions viriles, d’étendre l’horizon devant les intelligences, et en fin de compte cette pensée politique qui se mêlait à la science sans en troubler la sérénité, c’était ce qui achevait le succès de l’historien en popularisant ses travaux, c’était ce qui créait une sorte de communication intime, électrique entre le professeur et le public; c’était enfin ce qui préparait la rentrée éclatante de M. Guizot dans la vie active, ce qui le désignait en 1829 aux électeurs de Lisieux, ralliés autour de son